Il faut croire que le phénomène se répand. Une fois n'est donc plus coutume, on nous sert du thriller là où il n'y en a pas. Ce n'est même pas moi qui le dit mais Ethan Muller, le narrateur de cette histoire. Il a au moins le mérite d'être clair. Alors que s'annonce la fin du livre, il avertit même le lecteur de ne pas s'attendre à un énorme rebondissement ni à une quelconque scène d'action époustouflante. Par là même, il s'affranchit des codes, les détourne à souhait. On peut y voir là une volonté d'ancrer son personnage et son histoire dans une réalité, de rendre l'un et l'autre aussi crédibles et véridique que possible. Après tout, dans la vie, la vraie vie, les choses ne se passent jamais tout à fait comme dans un roman.
Ce genre de démarche est loin de me déplaire d'autant que le formatage thrilleristique sur les scènes de fin – action, parlotte, action, fin, voire double fin avec retournement de situation de derrière les fagots – a de plus en plus tendance à m'éloigner du genre.
Seulement un tel parti pris n'est pas non plus synonyme de réussite. Il n'a en tout cas pas été un élément déterminant à mon adhésion au roman. Ou à mon manque d'adhésion, en l'occurrence. Car cette volonté de raconter, de nous raconter une histoire comme si elle s'était réellement passée, souffre d'une construction pour le moins hasardeuse. La narration est en effet coupée d'interludes, visant à retracer les origines des Muller sur le territoire des Etats-Unis, au 19ème siècle. C'est d'abord intrigant, prenant aussi, même si on se demande ce que ça vient faire ici. A chacune de ces coupures on avance dans le temps. Puis les liens qui unissent tous ces personnages les uns aux autres s'éclairent.
Le problème en fait, c'est que dans ces évocations, Jesse Kellerman procède là encore à des flashbacks, certains n'étant d'ailleurs d'aucun intérêt et s'avérant du même coup assez poussifs. Lors des derniers interludes, il va même jusqu'à remonter à nouveau le cours du temps pour se consacrer à un personnage central de l'histoire. Ça ressemble un peu à du je m'arrange comme je peux pour tout dire et tant pis si c'est un peu cahin caha. Ça l'est.
On le devine, sans que l'on sache trop comment, l'ensemble des éléments qui sont rapportés dans ce contexte narratif sont connus de Ethan Muller. Aussi on s'étonne que les révélations qu'ils véhiculent ne transpirent pas dans ses réflexions ni ne sèment jamais vraiment le trouble en lui. Ce garçon là est insipide, les autres personnages aussi. La description de l'art contemporain qui est faite dans le roman l'est tout autant. Quant aux relations conflictuelles entre le père et son fils, peu explicitées, elles ont un arrière-goût d'artifice. Comme si elles n'existaient que pour les besoins d'un histoire, où tout arrive plus ou moins comme un cheveu sur la soupe. Alors je n'ai rien contre les cheveux, je n'ai rien contre la soupe mais quand ils entravent mes lectures, ça me navre.
Les Visages, Jesse Kellerman, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Sonatine, 471 p.