photos©Emeline Ancel-Pirouelle pour Hartzine
Animal Collective + Discodeine & Thomas Bloch + Emeralds, Grande Halle Charlie Parker, Paris, 27 mai 2011
Ouverture, lever de rideau, Villette Sonique, nous y sommes, le point zéro. Le moment temps attendu par un public toujours plus féru de sensation fortes et de découvertes, pour rassasier ses instincts les plus primaires. Le festival est devenu au fil des années la référence même de la culture musicale avant-gardiste et indépendante, cultivant un certain amour pour les freaks et les marginaux, du plus libéral au plus contestataire. Dans ce contexte privilégié, rien d’étonnant à retrouver le groupe ambient-drone Emeralds pour inaugurer une scène que fouleront plus tard pléthore d’artistes prestigieux. Le trio n’était d’ailleurs pas le premier choix des programmateurs, Salem ayant dû décliner leur invitation en raison de la grossesse avancée de Heather Marlatt, les obligeant à réduire le nombre de leurs prestations scéniques. Les organisateurs du festival auront donc jeté leur dévolu sur autre groupe au caractère tout aussi mystérieux et tout aussi emblématique d’un certain renouveau dans l’univers de la musique électronique.
La file d’attente à rallonge devant l’entrée de la salle Charlie Parker se voit bercée par les courants atmosphériques d’une longue intro portant les spectateurs munis de leur précieux billet dans un état de béatitude absolue. Le plus étonnant semble même être le fait qu’une bonne moitié de la foule a fait spécialement le déplacement uniquement pour ce concert. Assez étonnant quand on sait que le groupe partage l’affiche d’Animal Collective, gros morceau de ce festival. Quoiqu’il en soit, Emeralds se montre à la hauteur de ses prétentions, s’illustrant par un show dépouillé, hypnotique, allant crescendo. Les douces nappes s’érodent sous l’afflux de contractions mécaniques, les mélodies gonflant, ronronnant puis se déchirant au gré de l’accélération. Une délicatesse orchestrale pervertie, souillée jusqu’au titre Does It Look Like I’m Here?, chute frénétique dans le vide astral, dégringolade interminable à travers un champs d’étoiles au bord de l’implosion… Magique.
La prestation de Discodeine et de Thomas Bloch le sera moins. Je m’interdirai toute critique malvenue sur le disque éponyme du duo mené par Pilooski et Pentile, et me contenterai de le piétiner avec rage. Reste une prestation navigant entre le classico-chiant et l’électro-ascenseur qui me fera émotionnellement passer du « ouep, c’est gentil quoi… » au « je crois qu’il est vraiment temps que j’aille voir ailleurs si j’y suis »… Eh bien figurez-vous… Non, bien sûr, j’y étais pas, vous êtes con où quoi ? Mais par contre la moitié de la salle, elle, était aux mêmes endroits que moi, c’est-à-dire au bar ou au fumoir, laissant les artistes s’exprimer dans une indifférence générale. Beaucoup de codéine dans ce live, pas beaucoup de disco, et un compositeur classico-expérimental pourtant talentueux qui semblait chercher sa place. Un entre-deux qu’on a vite fait d’oublier et qui ne laissera qu’un souvenir aussi douloureux qu’une longue et pénible journée de bureau…
Si vous faites partie de cette masse populaire estimant que le sacre d’Animal Collective est redevable au statut culte dédié au Person Pitch de Panda Bear et estimez que Tomboy en est le digne successeur, ne poussez pas plus loin votre lecture. Tout ceci n’est que pure hypocrisie dont les dommages se seront comptés parmi le nombre de déçus ce vendredi soir. La ménagerie a vu sa cote discographique percer le plafonnier de la hype attitude grâce à un Merriweather Post Pavillon que nous qualifierons d’électro-psyché-mainstream, au détriment d’un parcours riche, foisonnant et expérimental trimballé depuis ses débuts. Identifié comme la nouvelle vague de Brooklyn alors que la plupart de ses membres n’y vivent plus, Animal Collective accumule les clichés que le quartet brisera un à un lors d’un concert spectaculaire, quoi qu’on en dise.
La première surprise viendra de cette disposition scénique plus classique et notre plaisir incommensurable de retrouver Avey Tare derrière les fûts. On ne le dira jamais assez, lâchez Tomboy, écoutez Down There. Pas de lead, même si Noah Lennox pose sa voix sur la quasi-totalité des morceaux, un refus de mettre en avant l’égo face à la fratrie. C’est donc Deakin qui ouvre sur un morceau aussi vaporeux qu’inédit, le collectif ne changeant pas ses habitudes en offrant à l’auditoire un répertoire inconnu, tiré probablement d’un album encore en cours de production. Le second morceau prendra le public à revers, s’entamant sur une partition glissant dans le tropical-glitch le plus craspec, couverte par la voix d’un Panda Bear bourré d’effets. Le concert glissera peu à peu dans une veine aussi inattendue que sautillante, psycho-folk bariolée, south-country ringarde mitraillée de noise, ghost-pop clownesque sur B.O. de film d’horreur vintage, de l’électro-drone spectrale, des ballades pop saccadées… Un show rythmé et turbulent qui désarçonnera les accros de My Girls et de psyché-folk planante… Après un concert somnifère livré l’an dernier au Bataclan, le crew le plus barré de la Côte Est confirme son statut d’agitateur-laborantin et se rapproche des terrains de jeu actuels de la nouvelle scène de Brooklyn. Restent Brothersport et Summertime Clothes, toujours aussi trippés, relents de Merriweather Post Pavillon, effectuant parfaitement la jonction avec ce nouvel univers musico-halluciné de notre cher collectif animal.
Akitrash
Thurston Moore + Glenn Branca + Half Japanese, Grande Halle Charlie Parker, Paris, 28 mai 2011
Il est 20h. Dans la halle en acier glacé, les corps poussiéreux s’entassent. On dirait qu’ils ne savent pas trop quelle légende ils sont le plus impatients de voir. Moi je sais. Je me glisse discrètement devant la scène tandis que Half Japanese entame la seconde moitié de son set. Jad Fair a l’air naïvement heureux. Les yeux plissés par la lumière ou par le plaisir – sûrement un peu des deux -, il observe le public d’un air goguenard. Ou satisfait. Les accents vaguement country de ses morceaux glissent sur l’auditoire. Je souris. Le rendez-vous est un peu raté mais il n’est pas triste. Ce n’est pas vraiment cette légende-là que je suis venue voir.
Pendant le changement de plateau, je parle sans m’écouter. Je ressens ce mélange de peur et de désir qui précède toute rencontre que l’on a attendue longtemps. A ce stade-là, ce n’est plus vraiment de l’impatience. C’est pire. Le corps tendu, j’observe la grande silhouette noire et voûtée marcher vers le centre de la scène sous l’oeil respectueux de ses musiciens – quatre guitaristes, un bassiste, une batteuse. Je ne vois pas son visage. Quand il se tourne vers nous, Glenn Branca – c’est bien lui – a le regard presque menaçant. Ce sera éphémère. Comme s’il s’amusait d’être si vénéré par un public effrayé, il rit, lance quelques bonbons dans la foule et boit une gorgée d’eau minérale. C’est ça, être rock en 2011 ? Peut-être. L’homme se retourne vers ses musiciens. Coups d’oeils tacites. Je crois qu’ils sont prêts, Glenn. Silence. Toujours crispée, j’attends un geste, une délivrance. Cette dernière viendra lentement, douloureusement, note par note, doigt par doigt, corde par corde. Les albums du Glenn Branca Ensemble (Ascension et Ascension: The Sequel) portent bien leur nom. Le compositeur, ici chef d’orchestre habité, envoie des éclairs avec ses doigts. Ses musiciens, rivés à la partition, froncent les sourcils et tirent la langue. L’Ascension qu’ils interprètent n’est pas vraiment une montée ; c’est un état permanent, un supplice délicieux. Toujours note par note, le volume et la tension augmentent. Quelqu’un dans le public hurle : « Louder ! » ; il en aura pour son argent. L’atmosphère devient lourde, insoutenable. Les tympans sifflent. On se demande quand on atteindra le sommet, si tant est qu’il existe quelque part sur ces foutues partitions. Ça fait mal mais c’est bon. La pression est à son paroxysme quand Branca annonce ce qui se révélera être l’apogée du concert : Lesson No. 3 (Tribute to Steve Reich), le morceau central du second album de l’Ensemble. Les notes passent de doigt en doigt parmi les musiciens installés en demi-cercle. Aller, retour. Au milieu, nous, pris dans étau. La même note répétée jusqu’à la mort. Rapidement, on sent la douleur s’installer dans les muscles des guitaristes. Leurs visages se crispent ; les nôtres aussi. De plus en plus. On sent que la fin est toute proche, presque palpable, mais on n’arrive pas à l’attraper. Submergée par la douleur et la beauté, les larmes me montent aux yeux. Perdue dans la foule anonyme, je cherche les bras qui pourraient me consoler, mais je sais que je ne les y trouverai pas. Et c’est exactement toute la majesté de ce morceau : c’est être près et loin, frôler l’orgasme et le manquer, parler sans que les mots sortent de sa bouche. Les notes continuent de tourbillonner dans leur course circulaire, encore et encore, jusqu’à… l’explosion finale, enfin. Encore des larmes et une éruption de joie chez les musiciens. Un soulagement extrême, une dernière convulsion. Vidé, on n’a plus la force que de s’abandonner totalement au déluge de décibels qui fracassent tout sur leur passage, en pagaille, désordonnés et pourtant rigoureusement maîtrisés. C’est là tout l’art de Glenn Branca.
Délivrée, je me laisse bercer par les douces ballades de Thurston Moore. Lui aussi a l’air heureux et apaisé. Comblée, l’assistance se laisse paresseusement glisser sur les accords de harpe, presque trop éprouvée pour réclamer plus d’électricité. Là se trouve probablement la plus grande vertu de la musique de Glenn Branca : pour ceux qui parviennent à entrer dedans, elle force à l’oubli de soi, à l’abandon total. Peut-être que c’est par le supplice de cette Ascension qu’il faut passer pour trouver le bonheur. Quant à ses bras, ils sont toujours loin mais j’ai la certitude qu’ils me cherchent aussi. Lire l’interview de Jad Fair. Lire l’interview de Glenn Branca. Voir l’interview de Thurston Moore (bientôt).
Emeline
Villette Sonique by night : We Love Sonique, Grande Halle de la Villette, Paris, 28 mai 2011
Après une journée de dur labeur derrière notre stand du Village Label, l’envie irrémédiable de se dégourdir les guiboles et de décompresser les soupapes nous assaillit. A trop se prendre au sérieux, on en oublierait presque que la musique est parfois le vecteur le plus direct menant à la fête. La soirée We Love Sonique était là pour nous le rappeler.
Une soirée qui ne brillait hélas pas par l’excellence de son plateau si l’on était un tant soit peu regardant sur la programmation musicale et que l’on ait passé la majorité. Je parle en âge mental bien sûr. Conan le barbare… Connan le marcassin… Oh merde ! Connan Mockasin ouvrait de sa pop languide, en vrai crooner néo-celtique déjanté et à la voix haut-perchée, marquant, à l’instar de Cults, un retour flagrant aux slows langoureux. On dénombrera quelques victimes dans l’assemblée et en premier lieu, une de nos chères rédactrices, à la vue de l’énorme flaque poisseuse s’étalant entre ses jambes et l’air con affiché sur visage. Une prestation qui nous laissera pourtant de marbre comme la majeure partie de l’assemblée (et c’est bien le seul moment où nous serons d’accord) – le physique de Paul Williams et Klaus Kinski, le psychédélisme au pays des licornes et la zoophilie avec des dauphins ne faisant pas vraiment bon ménage.
Changement radical de registre lorsque Daniel Snaith, la tête pensante de Caribou, prend les manettes. Plus proche de son récent projet Daphni que de l’épopée discographique du cervidé, le musicien balance un DJ set nerveux et éclectique qui fait le ravissement des clubbers. Loin de se cantonner à un simple playlisting de tracks dans le vent, Snaith fait montre d’une technicité à toute épreuve et d’une connaissance musicale approfondie. Une heure et quart de mix sans bémol qui laisse le public en émoi, chauffé à blanc pour recevoir Sebastian. En voilà un qui aura mérité ses honoraires.
La salle est maintenant pleine à craquer, et des frissons parcourent tout mon corps. Ne vous y trompez pas, il ne s’agit ni d’un contre-effet de la MDMA, ni d’impatience, mais simplement d’un moment de fébrilité. Sebastian apparaît en haut d’un immense pupitre derrière lequel sont projetées des images de marches militaires, de visages déformés et de drapeaux français. Toute le monde lève un bras et je dis : « Votez Marine Le Pen » (heu, c’est ironique !). On en a traité de nazis pour moins que cela. Dans sa forme, le show du musicien labellisé Ed Banger est Total-itaire – une mise en scène rappelant 1984 et V pour Vendetta. Dans le fond… Ah oui, c’est vrai que je dois aborder ce sujet… Même si du haut du balcon, j’assiste à un déchaînement de foule hystérique, je ne comprends strictement rien à cet enchaînement de beats stridents, gras et sans saveur sur lesquels sont scandés des slogans des plus insipides. Un Total qui rappelle en tout point le Positif de Mr Oizo, en plus répétitif et plus graveleux. Je laisse donc une partie de mes camarades faire boing-boing en compagnie de Justice (à chacun sa croix) et me dirige donc en direction des backstages.
Si, musicalement, We Love Art semble avoir perdu de son mojo, elle qui fut naguère pionnière du développement de la culture électronique parisienne, nous faisant découvrir au passage de jeunes talents devenus mètres étalons de l’électro internationale (Apparat, Ellen Allien, Luciano, Richie Hawtin… ), l’agence évènementielle garde pourtant l’ingrédient secret qui saura rendre nos nuits plus pétillantes. Ne nous voilons pas la face, si nous nous rendons d’un seul homme aux We Love (le nom étant lui même une marque de fabrique en soi), c’est plus pour ses décors fabuleux, cette ambiance généreuse, et cette sensation de se retrouver dans un gigantesque parc d’attractions, friandise débordante de ballons, de sculptures et de bulles en tout genre, que ses plateaux qui finissent par tourner en rubicon.
Fin de l’aparté. Je rejoins donc quelques potes squattant les canapés des quartiers d’Ed Banger où règne une joyeuse euphorie. Je discute malgré moi avec un certain Pedro Winter, Busy P de son alias, et découvre, non sans surprise, le goût immodéré de celui-ci pour les joutes verbales. Le personnage se révèle sensible, attachant et d’une gentillesse rare. Je regrette d’autant plus que sa musique ressemble à une bouillabaisse sonore inaudible et ne reflète pas plus la psyché profonde de l’individu. Après cette rencontre du troisième type, j’erre un moment dans les couloirs avant de rejoindre la salle une dernière fois.
Mehdi et Riton, unis sous l‘entité Carte Blanche, balancent la purée (désolé mais je n’ai pas trouvé d’autre synonyme plus convenable) devant un parterre de kids totalement déchainés, gesticulant entre mouvements lascifs et gigotements désarticulés effrayants. La musique quant à elle est un mauvais mélange de baseline lubrique et d’électro-funk sauce mayo. Un show qui ne fait pas dans la finesse et pète dans la dentelle, poussant mon indulgence en tant qu’auditeur dans ses derniers retranchements… Il est donc temps pour moi de quitter le navire – notre stand au Village Label ne se montera pas tout seul le lendemain… Cependant, durant l’heure et quart où je me gèlerai les bonbons à attendre un taxi, je rêvassai au temps où les soirées We Love furent catalyseur de talents, dénichant la petite bombe dancefloor qui enflammerait nos nuits jusqu’à la calcination de nos rotules. Aujourd’hui, la magie s’est transformée en un voyage à Eurodisney : un moment de féérie, mais toujours les mêmes attractions.
Akitrash
Forest Swords, La Géode, Paris, 30 mai 2011
Le débrief’ du week end au Village Label et de la prestation de notre cher Holy Strays s’est fait devant la géode en ce lundi 30 mai. Tout le monde est globalement ravi et patiente gentiment en médisant sur la programmation des prochains festivals parisiens. La discussion s’attarde sur la prestation à venir de Matthew Barnes. Le consensus autour de la discographie de Forest Swords est incontesté. Blogueurs, professionnels de la profession… l’entente mutuelle est décrétée et le terme drone-step prend un usage monologique que personne n’a encore osé contester.
Le sujet du jour revient à nous questionner sur l’épaisseur live du projet Forest Swords. Nos petites têtes nerds se plongent dans ce type de débat souffreteux, hésitant, et souvent compris uniquement de ceux qui l’animent (ndlr : se référer à la bible du genre) et nous problématisons les données de la sorte : Forest Swords est il un projet de producteur ou de musicien ?
La personnalité de Matthew Barnes est un premier élément de réponse… De source sûre, on le sait peu enclin à communiquer sur son projet, préférant maturer longuement chacun de ses morceaux. On le découvre ce soir là chétif physiquement et furtif dans ses apparitions. Son appareillage technique en dit également beaucoup : cette musique si organique sur album et nécessitant l’utilisation d’au moins une dizaine d’instruments par piste se joue à partir d’un laptop sur scène. La scénographie qui en découle est aussi charnue que notre non-repas du soir. Le concert commence et donne le ton des quarante-cinq minutes de sons et lumières qui vont nous être offertes : beaucoup d’intentions et peu de réalisations. La longue tirade du début de set entre post-dubstep et witch house me permet de me concentrer uniquement sur les images qui nous arrivent en 16/9ème sur la toile gigantesque de la Géode. Le lien avec la musique est diffus, mais les teintes rouges déployées le long de ce ballet sont de nature à injecter un peu de texture à l’ensemble.
Le live est conçu comme un DJ-set, à la différence près que les enchaînements sont parfois douloureux et brisent la dynamique créée par le ré-assemblage des plus belles mélodies des compositions de Matthew. A titre d’exemple, que dire de ce remix en direct d’un sample de soul qui s’est étiré à n’en plus finir ?
Des choix sonores et picturaux vraiment discutables s’alignent les uns après les autres et la réponse à notre question s’esquisse rapidement : Forest Swords est (pour l’instant ?) bien un projet de producteur, de studio, pas encore adapté aux exigences d’un live. Peut-être trop beau pour être complètement vrai… (ndlr : élément comparatif par ici).
Je passe rapidement sur les prestations de Ducktails et de Julian Lynch ; par fainéantise intellectuelle, j’associerai ça à voyage, Laponie, et Guide du Routard.
Nicolas
The Fall + OOIOO + Cheveu + I Apologize, Grande Halle Charlie Parker, Paris, 31 mai 2011
Déjà notre dernière soirée du festival… pour Hartzine du moins… Une conclusion en dents de scie, que dis-je, en montagnes russes, qui débute par la prestation aussi délirante qu’affligeante de I Apologize… Un nom de scène plutôt bien trouvé pour résumer la candeur musicale du trio mené par l’artiste/performer Jean-Luc Verna. Le géant à l’allure de pédale body-buildée se sacre ténor du renouveau goth-rock sur fond de reprises new-wave de supérette. Imaginez un instant le Xerxes du 300 de Zack Snyder moulé dans une tenue en latex et entonnant le Supernature de Cerrone. On hésite entre fou rire et larmes, mais à n’en point douter, la prestation de I Apologize était l’instant freak tant attendu de ce festival.
Force est de constater que si je n’eus guère de mal à trouver une ligne directrice dans la programmation de cette nouvelle mouture de la Villette Sonique, il me fut plus difficile de trouver une thématique cohérente au plateau de cette soirée : la folie ? la loufoquerie ? la marginalité ?.. Quoi qu’il en soit, les artistes suivants n’ont pas la réputation de plaisanter. Cheveu se voit propulsé sous les feux des projecteurs grâce à un Mille décoiffant et qui aura su ébouriffer une scène française en plein rebond punk-rock. Un démarrage en pente douce, entamé sur les morceaux les plus lo-fi de ce second opus, et qui me laisse un moment dubitatif. Il ne s’agit pourtant que du tour de chauffe avant que la machine s’emballe, la tension se chargeant d’électricité au gré de la sauvagerie déployée par un Olivier Demeaux totalement démantibulé et immanquablement surprenant. Plus proche de la performance que de la prestation, le chanteur hypnotise de son charisme fascinant, personnage coincé entre le punk simplet et le guerrier illuminé. Nos Pieds Nickelés du garage à la française balancent quelques salves bien acides et noisy qui mettront le public en émoi : Like a Dear in the Headlights, Clara Venus, Sensual Drug Abuse, Charlie Sheen… Une poignée de tubes finissant de conquérir l’auditoire, Cheveu l’achevant de son Superhero tonitruant et éraillé. Totalement jouissif.
J’aimerais en dire autant de la performance de OOIOO et je dois avouer qu’aujourd’hui encore, j’en suis à me questionner sur mon ressenti vis-à-vis de ce concert. Annoncé comme la nouvelle sensation nippone de cette édition, le groupe de Yoshimi P-We officiant chez Boredoms ressemble plus à un bouillon de culture. Tribal pop fusionnant avec l’énergie du free jazz, mélodies psychédéliques embrassant noise-punk et J-pop kawaï. Un mélange saugrenu qui ferait passer notre quatuor pour une version japonisante et tropical-rock de Chicks on Speed. Une orgie de sonorités extraterrestres siphonnées qui s’écoutent malgré tout sans déplaisir, mais de là à coller le grand frisson… Une bonne heure de jam qui aura pourtant conquis la majeure public, mais m’aura laissé totalement sceptique.
Puis uni comme un seul homme, la salle entière se regroupe autour de la scène. Un afflux de masse rendant l’atmosphère irrespirable au premier rang. Un attroupement flousant la binouse aussi dense qu’à un happy hour un soir de Saint-Patrick. Pas étonnant lorsque l’on sait que le dernier groupe à monter sur scène est celui du loser magnifique, sacré plus grand Mancunien de tous les temps : The Fall. Entrée en fanfare, sous les cris d’un public déchaîné, pour les membres du groupe post-punk le plus mal-aimé d’Angleterre, tandis que suit le débonnaire leader, Mark E. Smith. Et non sans faillir à sa réputation, c’est pour foutre le bordel. L’homme qui fut considéré un temps comme la plus réac’ et borderline des personnalités musicales nous apparaît aujourd’hui sous les traits d’un papi ronchon, aussi taquin que totalement déchiré. Cela ne l’empêchera pas de nous livrer la quasi-totalité de l’abrasif Your Future Our Clutter, énième objet discographique du monument post-punk britannique au mille et un changements de line-up. La voix rauque et ronflante de Smith fait des merveilles sur le terrifiant Chino, tandis que la foule exulte sur Bury Pts. 1 + 3, pogotant à tout va. Les titres s’enchaînent avec furie, consacrant The Fall comme l’une des dernières figures cultes de sa génération. Il est déjà temps de s’extirper de cette masse humaine quand j’aperçois Adrien (Trésors) avec qui je m’amuse à pronostiquer l’issue du concert. Le show vire à la troisième mi-temps et semble rassembler tous les prolos parisiens supporters du Manchester United. Une nana déambule torse nu sur le devant de la scène, avant de se faire éjecter par le service de sécurité. Enfin, vu la taille de sa poitrine, difficile de se faire une véritable idée sur le sexe de ce hooligan en jupon. Smith, aussi incontrôlable que son public, fout un véritable bordel sur le plateau, terrorisant ses musiciens, tandis que dans l’assistance le sang gicle enfin… Pari gagné. Je peux donc me retourner l’esprit tranquille, même si je regrette le Mark E. Smith fiévreux et colérique d’antan. Même nos idoles ne résistent pas à l’épreuve du temps.