Depuis le lancement de la chaîne en 1984, Canal + suit une ligne directrice singulière dans l’habillage sonore de ses programmes télévisés. Tout le monde a en tête les fameux « tchi-tcha » et « cinéma cinéma » introduisant les programmes. La chaîne fut pionnière dans l’art d’habiller musicalement sa programmation et de créer par ce biais du lien entre les téléspectateurs et la chaîne: un lien puissant que la chaîne a su nourrir et faire évoluer.
Olivier Schaack, directeur artistique de l’antenne, nous parle de la démarche sonore toute particulière de la chaîne.
On a le sentiment que Canal + est la première chaîne française à avoir pris conscience aussi tôt de l’importance d’un système d’habillage sonore de ses programmes. Quelles sont les origines de cette démarche ?
Tout a commencé en 1984 lorsque Pierre Lescure, en charge des programmes de Canal+, a demandé la création de l’identité visuelle de la chaîne à Etienne Robial. C’est à ce moment là que le terme « habillage » a été dit pour la première fois, Etienne Robial résumant la demande de Lescure par « tu veux une garde-robe pour ta chaîne ». Il s’est vite avéré qu’en plus de la création visuelle, un habillage sonore était nécessaire, ce qui était une pratique nouvelle à l’époque. Ainsi Philippe Eidel et Arnaud Devos ont créé l’habillage sonore de la chaîne, faisant également appel à des artistes de renom tel Michel Jonasz. C’est l’auteur-compositeur qui a eu l’idée de mettre en scène des voix pour l’habillage sonore des programmes de la chaîne. On se souvient évidemment des « cinéma cinéma », des « tchi-tcha » avec la voix de Michel Jonasz ou le générique de Cabou Cadin composé par Serge Gainsbourg et Michel Jonasz. La démarche d’origine était en fait bien plus intuitive et artistique que stratégique ou conceptuelle. Au bout d’un certain temps avec l’usage, ces habillages sonores se sont profondément inscrits dans l’ADN de la chaîne. Cela fidélisait les gens, cela donnait des codes avec lesquels ils se familiarisaient au fur et à mesure. Pour l’habillage, il est important de créer des sons que l’on reconnait mais que l’on ne retient pas de façon trop forte car à partir du moment où l’on se met à siffler la musique sous la douche, ce n’est pas bon signe : cela sous-entend que l’on risque de s’en lasser. A l’époque, il fallait surtout renforcer le lien entre les abonnés et la chaîne. Il fallait le faire de manière originale. Cela a bien fonctionné, ce lien était devenu très fort.
Vous avez pourtant vécu une césure dans votre ligne directrice en habillage sonore ?
Les changements sur l’identité de la marque ont débuté en 1995 lorsque le logo de Canal+ a évolué en abandonnant son ellipse pour des carrés animés. Ce n’est qu’en 2003 que les voix et les « tchi-tcha » ont été abandonnés pour des sons plus mécaniques qui eurent un rendu plus froid, donnant à l’ensemble de la chaîne une allure plus froide. C’était une erreur de renier nos codes à ce point. C’est pourquoi au moment de repenser l’habillage dans son ensemble, nous avons voulu revenir à ce qui correspond bien à notre marque : les voix, les onomatopées. Pour le nouvel habillage des chaînes Canal+, lancé en septembre 2009, en étroite collaboration avec le compositeur Norbert Gilbert nous avons décidé de remettre en place ce système modernisé en utilisant des voix masculines graves. Finalement, c’est une évolution et une modernisation du système d’origine que nous avons conçue avec l’agence londonienne Devil Fish à qui nous avons fait écouter tout un tas de sons et de jingles de l’habillage original, afin qu’ils s’en inspirent. Nous ne voulions pas faire la même chose, mais rester dans cet esprit tout de même. Il fallait partir de cette base, de cette essence sonore Canal+ pour la moderniser, la faire évoluer comme la chaîne et sa programmation ont aussi évolué. Ce système sonore s’est avéré être très identifiant.
Quelle opinion avez-vous de l’habillage sonore des autres médias ?
Actuellement, rien ne me marque spécialement dans l’habillage sonore des autres chaînes françaises, mais sur les chaînes gratuites le contexte est différent et plus difficile à gérer. Il y a beaucoup plus de coupures, de pubs et autres sponsors et de programmes différents qui s’enchaînent tout au long de la journée. Entre les identités sonores des marques présentes en publicité, les jingles des émissions, les habillages sonores divers, il est beaucoup plus difficile de créer une harmonie sonore avec ces éléments nombreux et disparates.
Chez M6, il y a eu l’époque où le M et le 6 du moving logo, s’imbriquait en une scène ludique portée par des sons de tous horizons (un marteau, un hélico…) ce qui donnait une très forte densité et un impact notable. A part cela, rien n’a pu autrement m’interpeller. Globalement, les chaînes changent d’habillage sonore tous les 4 ou 5 ans, voire moins parfois, c’est une erreur et un élément de confusion dont elles ne tirent pas parti. Chez Canal+ jusqu’en 2009, on avait changé deux fois en 25 ans !
Que pensez-vous des chaînes qui utilisent des hits dans leur habillage musical et sonore ?
Que les chaines gratuites aient ce type de démarche, ça fait partie du système. Ça ne me choque pas du tout : ça leur permet au contraire une variété musicale, même si en effet ça ne les aide pas à renforcer leur identité. Elles prennent néanmoins le risque de ne pas afficher d’identité marquée. De notre côté, parce que la chaîne est payante, il est important d’imprimer une très forte identité. C’est très important et ça sert à développer l’attachement. Et parce que Canal+ diffuse moins de programmes différents que les chaînes gratuites, nous avions plus le temps et l’espace d’imposer nos sons.
A quoi ressemble votre quotidien professionnel ?
Je manage des équipes créatives qui font les bandes annonces, les habillages sonores, les sponsors pour les 25 chaînes que le groupe Canal+ édite. En ce moment, je supervise le tournage du nouveau moving logo de Studio Canal, la filiale cinéma du Groupe Canal+. Cela fait plus de 10 ans que Studio Canal avait le même moving logo et ils souhaitaient le faire évoluer pour être plus phase avec leurs partenaires européens. Pour le reste, mon travail consiste notamment à donner vie aux logos qui évoluent dans le temps. Pour cela nous sommes obligés de tenir compte de certaines tendances mais on évite absolument les modes musicales, car elles s’usent très vite et nous sommes dans une démarche long terme. En général on travaille en collaboration avec des agences à qui on explique ce qu’on souhaite exprimer et ce sont elles qui vont chercher les sons que l’on désire, haut de gamme. Par exemple, là, pour le tournage du moving logo de Studio Canal, on cherche des tonalités qui évoquent des univers très cinématographiques dans la lignée de Philip Glass ou d’Alexandre Desplat car ce style véhicule bien ce que l’on souhaite transmettre. Finalement, dans mon quotidien professionnel, je me nourris comme un vampire de la créativité de mes équipes et de mes collaborateurs. Je n’ai personnellement pas d’ego créatif d’autant plus que mon travail est avant tout d’entretenir les valeurs de la marque, de les stimuler, de les faire évoluer en respectant un certain cadre. Je suis entièrement au service de la marque tout simplement, une marque qui possède des valeurs énormes et qu’il faut défendre..