Les expositions historiques du Jeu de Paume ayant désormais lieu à Tours, dans le Château, c’est l’occasion d’aller y voir (jusqu'au 6 novembre) le fond de la Société d’Excursions des Amateurs de Photographie, fondée par Albert Londe en 1887. Ce qui frappe d’abord, c’est l’aspect martial et conquérant de ces hommes (rien que des mâles, à une exception près) bourgeois, moustachus et barbichus qui partent en excursion, non comme des flâneurs en quête d’émotions et de découvertes, mais comme des guerriers, avides de capturer dans leurs boîtes noires des images du monde, paysageux, monumenteux ou (plus rares) animaliers, sous la direction d’un chef, d’un patron les "conduisant à la bataille" (Compte-rendu des excursions, octobre 1904, p. 172). Ces rangées de photographes défilant, la boîte sur l’épaule, en ligne, en masse, à la recherche du point de vue obligé, ont fière allure, à pied, à vélocipède ou en train (Anonyme, Photographes excursionnistes en marche, vers 1900). On a le sentiment d’une caste, d’un monde à part, avec ses codes, ses débats technico-esthétiques, son mépris pour la facilité (celle qu’apporte en 1888 le film Kodak, qui permet désormais au peuple, au béotien d’accéder à la photographie – eux ne jurent que par la plaque de verre) et son dédain pour la flânerie, l’inutile, la dérive. Mais on s’y amuse bien (entre hommes, bien sûr, donc parfois en potaches grivois). Albert Londe, qui, à quelques mètres de là, est le photographe attitré de Charcot et documente les figures hystériques, prend sur le vif ses petits camarades en train de sauter la barrière du jardin de la Salpêtrière (1885) ; eux sont du bon côté de la barrière.
Une section est dédiée à des projections d’autochromes, les premières photographies en couleur (grâce à des fécules de pomme de terre…) dont le velouté délicat paraît très sensuel. A côté de cette étude de costume en studio de Charles Adrien (vers 1920), j’ai saisi au vol ce nu à peine voilé, tremblant, fantomatique.
Outre Albert Londe, deux photographes sont à l’honneur ici. D’abord Léon Gimpel, vu à Orsay il y a trois ans, reporter indépendant (entre amateur et professionnel, en somme) et touche-à-tout de génie. Parmi ses photographies montrées ici, voici ‘Après le bal des Quat’z arts. Grand chahut dans la cour des Beaux-Arts. Paris, 4 juin 1913’ (pardonnez la médiocre qualité du scan) où Manon, modèle à l’école, « aux lignes impeccables » devient sculpture antique dans la vasque de la cour de l’école, entourée de « personnages grouillants avec des attitudes rappelant plus ou moins le général à la bouteille de champagne » (si quelqu’un peut m’éclairer sur ledit général…).
Et surtout Louis Vert, photographe des petites gens parisiennes, clochards et ouvriers, métiers pittoresques en voie de disparition, marchand d’abat-jours ou d’attrape-mouches, toujours pris sur le vif, en mouvement, de passage. C’est un regard bien différent de celui, contemporain, d’Atget, plus instantané, plus pittoresque, plus bourgeois aussi. Ce nettoyeur de vespasienne au milieu des affiches publicitaires (en haut ‘Les contrefaçons’ et ‘Habillez-vous richement’) témoigne plus d’une curiosité amusante que d’un regard sociologique (comme Irving Penn en fera preuve cinquante ans plus tard).
Photos 2 & 3 courtoisie du service de presse du Jeu de Paume; photo 4 de l'auteur; autres photos scannées.