Bien que tardivement, bon nombre de commentateurs se pressent maintenant autour du consensus sur l’inutilité du renflouement de la Grèce. Ils ont tout faux : les renflouements, bien loin d’être inefficients, ont été particulièrement délétères. La Grèce est encore plus endettée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a un an, et les pertes engendrées par un défaut ne se feront maintenant plus seulement sentir par un seul petit nombre de banquiers, mais par nous tous.
La dégringolade devrait détruire des carrières à travers toute l’Union Européenne. Ministres, gouverneurs de banques centrales, économistes, journalistes : des centaines de coupables ont soutenu une politique qu’ils savaient illégale, alors qu’ils ne comprenaient en rien combien elle pouvait être destructrice. Mais, bien évidemment, ceci n’arrivera pas.
Tout comme tout ceux qui avaient tout faux sur l’euro sont toujours présentés par nos télévisions comme des experts impartiaux, ceux qui ont tout faux sur les renflouements (généralement, les mêmes personnes, d’ailleurs) ressortiront de cette catastrophe avec une réputation intacte. Dans la vie publique, il vaut mieux faire partie d’un etablishment s’embourbant dans l’erreur que d’avoir eu raison trop tôt.
Il n’y a alors, j’en ai peur, aucune façon de présenter cela modestement. Ce blog a constamment vu juste concernant le cas grec depuis le tout premier démenti officiel sur la possibilité d’un renflouement en février de l’année dernière. Durant la campagne électorale britannique, je n’ai cessé de m’étonner de l’échec des médias à couvrir un problème qui allait sûrement devenir un des premiers tests du nouveau gouvernement. En mars dernier, usant de la même métaphore sophocléenne que celle utilisée par Boris aujourd’hui, je prédisais que plutôt que laisser la Grèce se découpler de l’Europe, dévaluer et faire défaut, l’Union Européenne multiplierait les renflouements successifs.
« Si nous devons étudier le thème de la tragédie grecque, faisons cela correctement. Nous avions déjà la part d’hubris : la croissance artificielle, à l’heure où les marchés se persuadaient que les dettes grecques et allemandes étaient interchangeables. Désormais, nous avons la nemesis.
Mais la catharsis n’est qu’artifice. En lieu et place d’une correction des marchés, une chute de la monnaie et d’un remaniement de l’économie, nous n’aurons qu’un autre renflouement. »
Pourquoi l’Union Européenne est-elle si déterminée à faire ce qu’il ne faut pas ? Après tout, la Grèce ne compte que pour moins de trois pourcents de son économie. La réponse est la même que celle que donne le Dr Zhivago à Gromeko lorsqu’il demande, misérablement, pourquoi les bolcheviks avaient tué le tsar : « C’est pour montrer qu’il n’y a pas de voie de retour ». L’UE dépend, dans un bien plus grand degré que celui habituellement reconnu, d’un sentiment inéluctabilité. Si les gens s’habituent à l’idée que l’on peut se soustraire de certains aspects de l’intégration européenne, c’est tout le système qui risquerait de s’écrouler.
C’est ainsi que l’on se retrouve avec toute une génération de galériens grecs condamnés à la pauvreté et à l’immigration dans le seul but de maintenir l’euro.
Notre génération considère qu’il était incroyable que dans l’Europe de l’Ancien Régime, la noblesse fusse exemptée de taxes. Comment, nous demandons-nous, pouvait-on concevoir un système dans lequel le fardeau fiscal ne reposait que sur les pauvres ? Pourtant nous en sommes désormais revenu précisément au même niveau de racket, les banquiers européens et les porteurs de bonds rejetant leurs responsabilités sur les contribuables.
La seule voie de sortie pour la Grèce est de quitter l’euro, de se réévaluer sur les marchés et de commencer à retrouver le chemin de la croissance par l’exportation. Le défaut de paiement arrivera tôt ou tard, et le retarder ne fait que rendre l’addition plus salée.
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