Pour rappel, le Conseil constitutionnel était saisi, sur renvoi du Conseil d'Etat, d'une question prioritaire de constitutionnalité, posée par une association, relative à la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme.
Rappelons que l'article L.600-1-1 du code de l'urbanisme a été introduit par l'article 14 de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Il dispose :
"Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire."
Cet article avait pour but de limiter le nombre des recours introduits par des associations à l'encontre, principalement, des permis de construire.
Pour le Conseil constitutionnel, cette mesure ne porte pas atteinte à la liberté d'association qui "est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution".
C'est surtout le considérant suivant qui retient l'attention :
"6. Considérant qu'en adoptant l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, le législateur a souhaité empêcher les associations, qui se créent aux seules fins de s'opposer aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols, de contester celles-ci ; qu'ainsi, il a entendu limiter le risque d'insécurité juridique"
Je souligne à dessein les termes "risque d'insécurité juridique".
On notera que le Conseil constitutionnel ne va pas jusqu'à mettre en balance, la liberté d'association d'une part, le principe de sécurité juridique d'autre part.
Toutefois, le Conseil constitutionnel juge ici que c'est à bon droit que le législateur a pu se fonder sur "le risque d'insécurité juridique" pour motiver une mesure tendant à limiter le recours des associations. Ce qui démontre bien qu'en droit, le recours des associations peut poser un problème d'insécurité juridique. La prochaine étape sera bien entendu de préciser le sens, laportée et la valeur juridique exacte du principe de sécurité juridique lui-même.
Nul doute que cette décision du Conseil constitutionnel sera débattue par les parties au procés administratif, lorsqu'il s'agira d'apprécier la recevabilité de l'action d'une association, dés lors où l'auteur et le bénéficiaire de la décision attaquée se prévaudront sans doute plus systématiquement du risque d'insécurité juridique voire du principe lui-même.
Sur le fond, la décision du Conseil constitutionnel est-elle justifiée ? Je le pense. Il est un fait que l'action de certains associations nuit à l'image d'autres associations qui mènent un travail considérable et exemplaire. Un certain tri est nécessaire. Il faut sans doute reprendre le lourd dossier des critères de représentativité pour, d'une part mettre en valeur et aider l'action des associations qui oeuvrent pour l'intérêt général, d'autre part encadrer l'action des associations qui ne sont créées que pour un intérêt particulier et, parfois, pour des intérêts bien cachés.
Reste que l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme est, d'un point de vue pratique, un article assez inutile qui n'a pas réellement répondu au besoin de sécurité juridique des constructeurs. Interdire l'accés au prétoire n'est sans doute pas la bonne solution. Accélérer les procédures d'instructutions va davantage dans le bon sens.
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Association Vivraviry [Recours des associations]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 avril 2011 par le Conseil d'État (décision n° 345980 du 6 avril 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association VIVRAVIRY, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 avril 2011 ;
Vu les observations produites pour la commune de Viry et la société Ciri-Viry par la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 6 mai 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Serge Deygas et Me Émilie Brun, avocats au barreau de Lyon, pour l'association requérante, Me Damien Célice pour la commune de Viry et la société Ciri-Viry et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 mai 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme : « Une association n'est recevable à agir contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l'association en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et portent atteinte à la liberté d'association ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice qui découle du principe d'égalité devant la loi ;
3. Considérant, en premier lieu, que la liberté d'association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution ; qu'en vertu de ce principe, les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant qu'en adoptant l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme, le législateur a souhaité empêcher les associations, qui se créent aux seules fins de s'opposer aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols, de contester celles-ci ; qu'ainsi, il a entendu limiter le risque d'insécurité juridique ;
7. Considérant que la disposition contestée n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire la constitution d'une association ou de soumettre sa création à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ; qu'elle prive les seules associations, dont les statuts sont déposés après l'affichage en mairie d'une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser les sols, de la possibilité d'exercer un recours contre la décision prise à la suite de cette demande ; que la restriction ainsi apportée au droit au recours est limitée aux décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation des sols ; que, par suite, l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme ne porte pas d'atteinte substantielle au droit des associations d'exercer des recours ; qu'il ne porte aucune atteinte au droit au recours de leurs membres ; qu'il ne méconnaît pas davantage la liberté d'association ;
8. Considérant qu'au regard de l'objet de la loi, les associations qui se créent postérieurement à une demande d'occupation ou d'utilisation des sols ne sont pas dans une situation identique à celle des associations antérieurement créées ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté ;
9. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- L'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 juin 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 17 juin 2011.