Souvent considéré comme le premier film policier médiéval, Le Nom de la Rose brille surtout par le portrait qu’il brosse de chacun des protagonistes de ce récit, qu’ils soient principaux ou mineurs. Car cette abbaye abrite des moines dont le travail consiste à préserver le savoir de l’Antiquité à travers la traduction et la copie des manuscrits qui sont parvenus à traverser les siècles jusque-là : ce sont donc des érudits ; et comme leur travail de reproduction se complète d’illustrations très détaillées, ils sont aussi artistes. Bref, à la fois savants et créatifs, ces gens s’affirment surtout comme des sensibles, faute d’un meilleur terme, soient des profils souvent victimes de certains travers psychologiques.
Des travers que beaucoup de nos gens de nos jours encore voient d’un mauvais œil, pour dire de quelle manière ils se trouvaient considérés à cette époque qui ne brillait pas par son ouverture d’esprit – ce qui explique d’ailleurs peut-être pourquoi certains cherchaient refuge dans des établissements comme celui où se déroule ce récit… On aime l’adéquation que démontre le scénario entre la réalité historique et les besoins du thème : les intrigues policières, en effet, mettent souvent en scène des personnalités torturées, pour ne pas dire psychotiques, voire même franchement psychopathes – la seconde partie de l’histoire, d’ailleurs, quand entre en scène la Sainte Inquisition, permettra d’en apercevoir quelques autres qui appartiennent à cette dernière catégorie…
Mais on y trouve aussi des gens de raison, et capables de marier celle-ci à l’érudition et à la sensibilité, comme du reste c’est le cas de tous les lieux et de toutes les époques. De Baskerville compte bien sûr parmi ceux-là, et sous l’égide d’un tel maître, son apprenti Adso suivra on l’espère un chemin semblable. Comme des îlots de lumière dans ce puits de ténèbres qu’est le Moyen Âge (1), des gens tels qu’eux participèrent bien plus que les autres à ordonner le chaos – et même si cette tâche reste encore de nos jours loin d’être achevée… Malgré tout, ils restent anonymes, au contraire de quelques autres dont les travaux leur ont permis d’entrer dans l’Histoire sous des noms devenus plus ou moins célèbres.
C’est là que ce film trouve une partie non négligeable de sa force, surtout à une époque comme la nôtre où chacun veut son quart d’heure de gloire : en nous rappelant que le feu des projecteurs n’éclaire qu’une fraction de ceux qui ont vraiment compté, il nous rend à nouveau confiant dans l’idée que notre vie n’est pas inutile pour peu que nos actes restent justes.
Ce qui, pour le coup, est une morale bien chrétienne, comme quoi ce film se montre fidèle à lui-même jusqu’au bout…
(1) la phrase accentue volontairement la métaphore : le Moyen Âge n’était pas une période si obscure que ça en réalité ; selon la médiéviste Claude Gauvard, elle nous a légué « quantité de témoignages lumineux dans la pierre, les livres, les textes… » (Sciences et Avenir n°772, juin 2011, p.51). ↩
Récompenses :
- César du cinéma : Meilleur film étranger.
- Prix David di Donatello : Meilleure direction artistique, Meilleurs costumes et Meilleure photographie.
- Prix du Film allemand : Meilleur acteur (Sean Connery) et Meilleure direction artistique.
- Ruban d’argent : Meilleure photographie, Meilleurs costumes et Meilleure direction artistique.
- BAFTA Awards : Meilleur acteur (Sean Connery) et Meilleur maquillage.
Note :
Ce film est une adaptation du roman éponyme d’Umberto Eco publié en 1980 et récompensé par le prix Médicis étranger en 1982.
Le Nom de la Rose (Der Name der Rose), Jean-Jacques Annaud, 1986
Warner Bros., 2004
131 minutes, env. 10 €
- le site officiel de Jean-Jacques Annaud
- l’avis de Cinekritik