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Les rêves et projets indiens de Napoléon (3/3)

Par Olivia1972

Tout était donc préparé. Peu à peu s'amassait un formidable orage contre les possesseurs de l'Hindoustan. Quand s'ébranleraient à la fois les soldats français si souvent victorieux, les Arabes du désert et le Shah de Perse; quand Bonaparte, prenant en main la direction de cette armée, paraîtrait dans le bassin de l'Indus, et qu'au premier signal notre allié Tippoo-Saheb marcherait à notre rencontre en soulevant sur son passage les populations du Midi, certes la puissance anglaise courrait de grands risques. Bonaparte le jugeait ainsi.


Il croyait même très rapproché le moment de l'expédition, car il envoya au Sultan de Mysore la lettre suivante : « Vous avez déjà été instruit de mon arrivée sur les bords de la mer Rouge, avec une armée innombrable et invincible, remplie du désir de vous délivrer du joug de fer de l'Angleterre. Je m'empresse de vous faire connaître le désir que j'ai que vous me donniez, par la voie de Mascate ou de Moka, des nouvelles sur la situation politique dans laquelle vous vous trouvez. Je désirerais même que vous puissiez envoyer à Suez ou au grand Caire quelque homme adroit qui eût votre confiance, avec lequel je puisse conférer. »

Il ne s'agissait plus cette fois de propositions ou de secours illusoires. C'était le général en chef d'une redoutable armée qui, de lui-même, proposait au Sultan l'alliance française, et déjà il se trouvait à moitié chemin de Paris à Seringapatam. Le gouvernement français, de son côté, semblait disposé à venir en aide à Tippoo-Saheb. Voici ce qu'écrivait, à la date du 20 septembre 1799, le ministre Reinhard : « il semble que cette dépêche devrait être terminée par une invitation au général Bonaparte de faire les recherches les plus profondes pour voir s'il n'y aurait pas moyen d'envoyer par terre ou par mer environ 800 hommes de son armée dans l'Inde, pour soutenir et secourir les princes Indiens qui ont commencé la guerre contre les Anglais et qui succomberont infailliblement, si des troupes européennes ne leur parviennent pas. » Certes le farouche ennemi de l'Angleterre aurait tressailli d'aise et d'espérance en recevant et cette lettre de Bonaparte et ces promesses du Directoire, mais, quand elles arrivèrent à destination, la mort l'avait déjà frappé (4 mai 1799), et la fortune de l'Angleterre l'emportait de nouveau dans l'Hindoustan.

Comment les anglais ont manoeuvré


Les Anglais avaient presque souri de mépris quand ils eurent vent des projets français. Un passage aux Indes par l'Egypte leur semblait impossible. Aussi n'avaient-ils pris d'abord, pour s'y opposer, que de simples mesures de précaution. Un seul des directeurs de la Compagnie, Dundas, pressentit la réalité du danger. Il exprima si vivement ses craintes que 5 000 hommes, bien disciplinés, accoutumés aux pays chauds, furent tirés de Gibraltar, du Portugal, du Cap de Bonne Espérance, et envoyés en Hindoustan. L'escadre anglaise de l'Océan Indien reçut aussi des renforts avec l'ordre de défendre les abords du golfe Persique. Comme on ignorait la destination définitive de l'armée française, la Compagnie en arriva bientôt à exagérer sa peur comme elle avait exagéré sa confiance, mais il faut reconnaître que ses alarmes pouvaient en partie se justifier. Si, en effet, le gouvernement

français réussissait à faire passer dans la mer Rouge quelques bâtiments de transport, si la flotte française des îles Mascareignes allait à leur rencontre, si même Bonaparte réussissait à se procurer en Egypte assez de bâtiments légers pour faire passer rapidement 10 000 hommes de troupes choisies sur les côtes de Malabar, le danger devenait réel. Vingt ou trente jours suffiraient pour aller de Suez à Malabar. Le détroit de Bab-el-Mandeb ne présentait aucun danger, car les Anglais n'avaient encore pris possession ni d'Aden, ni de Périm, et aucun de leurs vaisseaux, n'avait encore paru dans la mer Rouge. Aussi comprend-on les alarmes de la Compagnie.

 

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Wellesley venait d'être nommé gouverneur général de l'Hindoustan à la place de Cornwallis. Il était de ceux qui voulaient pousser jusqu'au bout la fortune de l'Angleterre, et pensait que la ruine définitive de Tippoo-Saheb pouvait seule assurer sa grandeur. En effet, le Sultan de Mysore était alors l'appui et l'espérance de tous les ennemis de l'Angleterre. Wellesley aurait voulu l'attaquer sur le champ. Les prétextes ne manquaient pas. Dès le mois de novembre 1798, il fit savoir au Sultan qu'il connaissait ses projets pour l'avenir et ses négociations avec les Français. Déterminé cependant, disait-il, à tout régler à l'amiable, il lui annonçait le prochain envoi à Seringapatam d'un ambassadeur muni de pleins pouvoirs. Il espérait sans doute que le Sultan refuserait de recevoir cet ambassadeur, et lui fournirait ainsi le prétexte dont il avait besoin. Tippoo-Saheb ne cherchait alors qu'à gagner du temps, car il espérait recevoir des renforts de France. Il ne répondit pas tout de suite à Wellesley, et, quand ce dernier renouvela sa proposition en janvier 1799, il continua à garder le silence ; mais en même temps il envoyait à Paris le général Dubuc, un des Français qui étaient venus de l'Ile de France, pour solliciter du Directoire l'envoi de plusieurs milliers de soldats qu'il promettait de défrayer et de quelques vaisseaux sur la côte du Malabar. Ces nouvelles décidèrent Wellesley. Il concentra son armée et entra en campagne (3 février 1799). arriva bientôt sous les murs de Seringapatam, dont elle commença le siège, bien déterminée à ne pas se retirer avant d'avoir réduit à l'impuissance le plus redoutable de ses ennemis. Tippoo-Saheb résista avec énergie.

Le jour de l'assaut (4 mai) il parut sur la brèche et s'y fit bravement tuer. Sa mort et la prise de Seringapatam assuraient le triomphe de l'Angleterre. Aucun prince indigène n'était désormais capable de soutenir une guerre nationale contre les envahisseurs ; et puisque les Français, malgré les avantages que leur procurait cette alliance, n'avaient pu secourir à temps le Sultan de Mysore, il était à présumer que leur intervention en Hindoustan n'aurait jamais lieu.

Aussi bien, au moment même où périssait Tippoo-Saheb, les Anglais remportaient en Syrie un nouveau triomphe, moins retentissant, mais dont les conséquences devaient être pour eux fort importantes : ils forçaient en effet Bonaparte à battre en retraite devant la défense obstinée, conduite par Sidney Smith, de Saint-Jean-d'Acre et à renoncer à tous ses grands projets de fortune en Orient. C'était un incontestable succès et la France était décidément vaincue en Asie. Bonaparte ne s'y trompa point. Il lui arriva souvent,

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même au milieu de l'enivrement de ses victoires les plus extraordinaires, de répéter à ses confidents, à ses parents même, que la levée du siège de Saint-Jean-d'Acre avait été pour lui le plus grave des échecs, car c'était en Asie, et rien qu'en Asie qu'il pouvait construire le gigantesque édifice de sa fortune.

Son frère Lucien, dont les Mémoires sont pleins de boutades et de révélations inattendues, écrivait en 1806, à propos de cette déception de Bonaparte, les lignes suivantes, auxquelles les événements n'ont donné que trop pleinement raison : « J'ai manqué ma fortune à Saint-Jean-d'Acre, m'avait révélé le conquérant; mais ce que je le supposais capable de regretter n'avoir pas fait en Asie me semblait plus difficile à tenter en France. Et c'est un des phénomènes les plus extraordinaires observés à notre époque d'avoir vu surgir du sein de notre Europe civilisée un homme, non seulement destructeur des libertés publiques de son pays, mais imbu de l'esprit des conquêtes de Gengis-Khan et de Tamerlan, et qui, s'il vit longtemps, finira par précipiter l'Europe sur cette Asie, objet de ses regrets, dans une guerre heureuse contre la Russie. »

La persistance du projet indien

En 1803, Napoléon fit savoir au Conte de Boigne qu’il souhaitait qu’il prenne la tête d’une armée franco-russe ; ce corps expéditionnaire devait, selon les projets de l’Empereur, accéder à l’Inde via l’Afghanistan. Le Conte de Boigne, qui avait été le général en chef des armées mahrattes de Sinthia, déclina l’offre.

En 1807, Napoléon tentera se signer un traité avec les Perses mais ce sera finalement un échec. Les objectifs restaient les mêmes ; gagner l’Inde par la Perse.

Bonaparte en effet ne cessa pas de songer à l'Asie. Il ne se désintéressa jamais des affaires indiennes, et la conquête de l'Hindoustan resta toujours dans son esprit, comme l'affaire réservée, comme la grosse entreprise qui devait être en quelque sorte le couronnement de sa carrière.

Sources

Paul Gaffarel. La Politique coloniale en France de 1789 à 1830

Bourienne, Mémoires, t. II, p. 187.

J. Michaud, Histoire des progrès et de la chute de l'empire de Mysore (1801).

Michel Geoffroy. Le rêve indo-persan de l’Empereur


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