Bernadette PECASSOU-CAMEBRAC – La Dernière Bagnarde : 8-/10
Emouvant, touchant, terrifiant, ce récit de la vie des bagnardes envoyées en Guyane à la fin du XIXème siècle !
L’histoire commence en en 1888, un jour de mai, alors que la jeune Marie Bartête embarque, pétrifiée, sur le navire qui l’emmènera loin de sa terre natale pour la conduire jusqu’au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni.
C’est là-bas, à des milliers de kilomètres, que l’Etat envoie certaines femmes condamnées afin que celles-ci soient mariées à des bagnards libérés en Guyane ; l’idée est que ces couples pourront alors repeupler ce territoire lointain et inhospitalier. Un concept irréalisable compte tenu des conditions de vie et de l’attention véritable accordée par la France au sort des bagnards auquel le proverbe « loin des yeux … » s’applique parfaitement.
Marie fait partie de l’un de ces convois sans retour. Pourtant, Marie n’est pas une criminelle, c’est une jeune femme de vingt ans, venue de la campagne, qui a été convaincue de quelques petits larcins sans importance.
Son véritable crime est d’être jeune et forte - conditions idéales donc pour faire des enfants dans un environnement hostile .... La France n’a plus qu’à appliquer la loi dite de la « relégation » pour l’envoyer loin. Et voilà, son sort est décidé.
Les femmes embarquées sur le Ville de Saint-Nazaire comprennent dès la traversée, qui a lieu dans des conditions épouvantables, que leur avenir sera difficile, mais leur arrivée est bien pire que ce qu'elles pensaient – puisque personne ne les attend ! Rien n’est prévu pour elles dans une ville faite de planches au bord de la jungle infestée d’insectes et de maladies !
Entassées en urgence dans un abri provisoire, elles y passeront des années …
En Guyane, Marie découvre l’enfer sur terre ! La vie n'y est rien d’autre qu’une mort lente et insidieuse.
Les sœurs qui l’accompagnent sont dépassées, les dirigeants de l’île lointaine n’agissent pas ou ne le peuvent pas, les médecins sont désemparés.
A Saint-Laurent-du-Maroni, la morale n’existe pas, nul n’est responsable, nul ne se sont concerné, seules dominent la violence et la force physique.
Toutes les bonnes volontés se brisent immanquablement sur les récifs de la réalité.
Ce roman, je l’ai dévoré. Le destin des femmes envoyées au bagne, si souvent oublié, est retracé avec sensibilité par Bernadette Pécassou-Camebrac qui nous conte cette histoire terrible avec des mots simples, parfois même avec une apparente légèreté.
Elle parvient à effleurer une multitude de destinées, que ce soit celle de Marie, celle de ses compagnes ou encore celle du jeune médecin si enthousiaste, si convaincue de pouvoir changer les choses, ou même celle de la mère supérieure, une bonne-sœur amère d’avoir été envoyée dans le couvent qui découvre une réalité qui la dépasse.
Une fois que l’on commence ce roman, on ne peut plus le poser.
Pourtant, l’auteur n’entre pas dans les détails sordides, elle ne fait que survoler cette partie de l’histoire si souvent oubliée, touchant ici et là du doigt quelque instant marquant.
Ce qui rend l’histoire d’autant plus émouvante, puisque toutes ces vies que nous croisons au cours du voyage nous semblent essentielles - et toutes se révèlent si dérisoires.
Bernadette Pecassou-Camebrac ne s'acharne pas sur les faits historiques. Son récit "est", il existe par lui-même, le reste, on le subodore.
C'est par cela qu'elle se distingue de la plupart des auteurs de romans historiques ; elle fait confiance au lecteur de comprendre ce qui n'est pas exprimé. Du moins, c'est ainsi que je l'ai compris ...
J’ai vraiment adoré ! Ce roman a une âme, il véhicule des émotions sans pourtant être cru dans ses propos.
Maintenant, le point fort du livre est également son point faible, puisque justement, certains aspects n'y sont qu’effleurés. Tout au long des pages ont attend plus, on attend de plonger sous la surface.
Pour exemple : au cours de la traversée, quelques femmes se font violer. Le lecteur apprend par la suite à travers une lettre envoyée sur le continent par un médecin que l’une d’elles, mineure, était tombée enceinte et qu’il craignait qu’elle ne subisse un accident qui lui ferait perdre son enfant. Or, nous n’apprenons à aucun moment ni qui était la malheureuse, ni ce qu’elle est devenue, ni si elle a eu ou non son enfant.
De même, l’héroïne du livre, Marie, est à peine au centre de l’histoire, elle se partage le devant de la scène avec tous les autres caractères. La mère supérieure et son évolution m’a même plus marquée que la vie tragique de la dernière bagnarde.
J’aurais aimé savoir plus sur les autres femmes qui partageaient le destin de Marie, ou sur Romain, le jeune médecin, et qu’est devenu le jeune responsable pénitentiaire qui accompagnait le convoi qui avait amené Marie, comment et quand a-t-il décidé d’abandonner ? Car les fonctionnaires se succèdent, c’est le moins que l’on puisse dire !
Bref, j’avais soif d’un tantinet plus de détails, plus de couleurs dans mon tableau peut-être.
Néanmoins, on reste avec une émotion profonde, et voilà ce qui détermine, pour moi, un bon livre, même si l'auteur aurait pu, éventuellement, aller plus loin.
« La dernière bagnarde » est le premier livre que je lis de Bernadette Pécassou-Camebrac, mais certainement pas le dernier. Si chacun de ses livres comprend ce souffle, et bien, j’ai alors trouvé un(e) auteur français à suivre !