La crise de la dette souveraine de la Grèce, qui plonge la monnaie européenne depuis près d’un an et demi dans une épreuve sans précédent, est
l’occasion de revenir sur le régime politique grec. Une histoire républicaine finalement très récente qui met en scène deux dynasties légendaires : les Caramanlis et les
Papandréou.
C’était l’un des fameux sketchs de Coluche dont on a fêté le vingt-cinquième anniversaire de la mort
dimanche dernier.
Jeter l’encre ? Plutôt, revenir sur les origines du régime politique grec actuel.
Je me suis amené à connaître les raisons du régime des colonels, en Grèce : comment ce pays à l’histoire si prestigieuse a-t-il pu sombrer dans
la dictature militaire, et en corollaire, comment a-t-il pu s’en éloigner quelques années après ?
J’avais bien compris (à l’époque) que l’entrée de la Grèce dans la Communauté européenne en 1981 avait constitué un élément majeur pour accrocher ce pays dans le camp des démocraties, et que cela avait été
aussi le cas pour l’Espagne et le Portugal cinq ans plus tard.
Mon arrière-pensée, c’était de me demander si la situation quasi-insurrectionnelle que connaît la Grèce aujourd’hui avec sa faillite financière pouvait aboutir à une nouvelle dictature.
Le Roi des Hellènes
Je savais qu’avant la dictature des colonels, la Grèce était une monarchie, mais ce que je ne savais pas, c’est que le Roi qui
fut congédié… eh bien, il est toujours vivant !
Et non seulement il est toujours vivant, mais il n’est pas encore très âgé : il vient d’avoir 71 ans le 2 juin 2011.
Mais quel âge avait-il donc quand il était Roi ? Il avait seulement 23 ans. Un gosse ! Je venais de terminer mes études et
j’étais au service militaire. Lui, Roi.
Son père, Paul Ier,
devint Roi de Grèce le 1er avril 1947 après la mort de son frère, Georges II.
Constantin II, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est naturellement devenu le dauphin (à 6 ans donc).
Constantin II était surtout passionné de sport, dans sa jeunesse, jusqu’à obtenir une médaille d’or aux J.O. de 1960 à Rome (en voile) et
une ceinture noire de karaté (cela me fait un peu penser à Poutine).
Le 6 mars 1964, il succéda à son père à la mort de celui-ci. Quelques jours plus tôt (le 18 février 1964), Georgios Papandréou, déjà deux
fois Premier Ministre, gagnait haut la main (53%), à 73 ans, des élections qui changeaient radicalement le climat politique vers un centrisme progressiste, amplifiant sa première victoire de
novembre 1963. Il était le père d’Andréas, économiste, futur créateur du PASOK, parti socialiste, et futur Premier Ministre lui aussi en 1981, qu’il nomma comme son plus proche et influent
ministre en 1964 (Andréas avait alors 44 ans).
Une cohabitation inflammable
1964 fut ainsi une année de grand changement politique en Grèce, avec un chef du gouvernement expérimenté et très âgé et un jeune
Roi à peine sorti de l’adolescence.
Un peu comme le différent entre le Président monarchiste MacMahon et la majorité parlementaire républicaine au début de la
IIIe République en France, un différent arriva assez rapidement entre le
gouvernement qui voulait renvoyer des officiers proches de l’extrême droite et l’entourage du Roi qui s’y était opposé. Andréas Papandréou était surtout la bête noire des officiers (et aussi des
Américains).
Le 15 juillet 1965, ce fut la rupture. En dépit de l’usage institutionnel, le jeune Roi congédia son Premier Ministre avec l’aide de
Constantin Mitsotakis (lui aussi futur Premier Ministre en 1990, futur opposant à Andréas Papandréou) qui se désolidarisa de Georgios Papandréou (pourtant du même parti). Le Roi initia une longue
suite de crises ministérielles. L’instabilité politique entraîna l’organisation de nouvelles élections législatives pour le 28 mai 1967.
Très populaire, Georgios Papandréou était (encore) le favori de ces élections. Aidés peut-être par la CIA qui craignait la victoire des
Papandréou, des officiers (d’importance très moyenne) prirent le pouvoir au cours d’un coup d’État le 21 avril 1967.
Une véritable dictature militaire
Constantin II refusa de lutter contre eux pour éviter un massacre, contre la volonté du Premier Ministre Panagiotis Knellopoulos.
Constantin II proposa au contraire aux putschistes de légitimer leur pouvoir à la condition de garder son pouvoir de nomination du gouvernement. Les militaires acceptèrent et le laissèrent nommer
Constantin Kollias à la tête du gouvernement.
Constantin II crut ainsi maîtriser le coup d’État mais dans les faits, sa présence fortifia surtout leur assise car elle faisait croire à
un semblant de vie politique alors que ce ne fut que censures, répressions, arrestations politiques, persécutions et tortures. Le thème principal du nouveau régime était l’anticommunisme.
Georgios Papandréou mourut le 1er novembre 1968 en résidence surveillée et ses obsèques furent l’occasion, pour la foule, de manifester contre les putschistes.
Le 13 décembre 1967, encouragé par le Président américain Johnson, Constantin II essaya de reprendre le pouvoir aux colonels mais échoua.
Il a dû partir en exil à Rome puis à Londres tout en restant Roi car les militaires ont préféré maintenir la monarchie en nommant un régent du Royaume dès le lendemain, Georges Zoitakis.
Ce dernier fut remplacé le 21 mars 1972 par le principal putschiste, Georgios Papadopoulos (colonel puis général, ancien résistant) qui,
le 1er juin 1973, décida de déposer Constantin II et d’instaurer une
république présidentielle qui l’installa à sa tête pour un mandat de huit ans le 29 juillet 1973.
Papadopoulos, malgré ses dérives dictatoriales (qui entraînèrent sa condamnation à mort le 23 août 1975 mais il ne fut pas exécuté),
cherchait à faire évoluer le régime vers une transition démocratique (metapolitefsi). Il fut arrêté par un autre putschiste, Dimitrios Ioannidis, le 25 novembre 1973, et remplacé par l’amiral
Phaedon Ghizikis.
L’issue démocratique
Le régime des colonels se termina dans la débandade le 20 juillet 1974 après la déplorable tentative des putschistes d’annexer
Chypre (ce qui se solda par l’occupation de la partie nord-est de l’île par l’armée turque, situation toujours pas débloquée de nos jours), et par le retour d’exil de France de Constantin
Caramanlis (au bord de l’avion présidentiel de Valéry Giscard d’Estaing)
redevenu Premier Ministre d’un gouvernement d’union nationale le 21 juillet 1974. Il organisa le référendum du 8 décembre 1974 qui confirma la nature républicaine du régime à près de 69%.
Constantin Caramanlis fut ensuite élu deux fois Président de la République grecque du 15 mai 1980 au 10 mars 1985 puis du 5 mai 1990 au 10
mars 1995.
Constantin II, gendre du Roi Frédéric IX du Danemark, beau-frère du Roi Juan Carlos Ier d’Espagne et de la Reine Margrethe II du Danemark, descendant de la reine Victoria, resta donc en
exil londonien et n’a pu retourner à Athènes que lors de l’enterrement de sa mère (en février 1981), puis en août 1993, puis, à l’occasion des J.O. d’Athènes (en août 2004) comme membre du Comité
international olympique, et enfin, en décembre 2004.
Ses héritiers, prétendants au trône, sont son fils Pavlos (né le 20 mai 1967) puis son petit-fils Constantin Alexis (né le 29 octobre
1998) dans un ordre qui refuse obstinément les femmes (comme en France, mais pas comme au Royaume-Uni).
Le film "Z"
"Z" (1969), le film très connu de Costa-Gavras (zêta est l’initiale de zoô, je vis), retrace cette période trouble de la
Grèce.
Ce film évoque l’assassinat du député socialiste Gregoris Lambrakis (joué par Yves Montand) par des militants d’extrême droite le 22 mai
1963 à Thessalonique qui a eu lieu dans un climat très mauvais : Georgios Papandréou refusait d’admettre la victoire du Premier Ministre Constantin Caramanlis aux élections du 29 octobre
1961 et Caramanlis démissionna le 17 juin 1963 à la suite d’un différent avec le Roi Paul Ier. Le parti de Caramanlis échoua aux élections de novembre 1963 (au profit de Georgios Papandréou) et il s’exila de la vie politique grecque (jusqu’en juillet
1974).
Le "petit juge" (joué par Jean-Louis Trintignant), Christos Sartzetakis, devint Président de la République le 29 mars 1985 (jusqu'au 5 mai
1990), élu par une majorité socialiste (PASOK) dirigée par le Premier Ministre Andréas Papandréou (au pouvoir du le 21 octobre 1981 au 2 juillet 1989 et du 13 octobre 1993 au 22 janvier
1996).
Aujourd’hui…
Aujourd’hui, le Premier Ministre grec est Georgios Papandréou Jr, 59 ans, fils d’Andréas Papandréou et petit-fils de Georgios
Papandréou Sr, depuis le 6 octobre 2009 et la victoire électorale de son parti, le PASOK, aux élections législatives anticipées du 4 octobre 2009, et il a succédé à son adversaire Kostas
Caramanlis, 55 ans, Premier Ministre grec du 10 mars 2004 au 6 octobre 2009, neveu de Constantin Caramanlis et ancien député de Thessalonique.
En réponse à la vague de protestation populaire du 15 juin 2011, Georgios Papandréou Jr a fortement remanié son gouvernement le 17 juin
2011, sans toutefois réussir à convaincre l’opposition de rejoindre un gouvernement d’unité nationale, en nommant son principal rival au sein du PASOK, Evangelos Venizelos, 54 ans (ancien député
de Thessalonique), au poste stratégique de Ministre des Finances (et Vice-Premier Ministre) à la place de Giorgos Papakonstantinou, 49 ans, fortement contesté.
Georgios Papandréou Jr est également depuis 2006 le président de l’Internationale socialiste à laquelle participait également, aux côtés
des socialistes français et européens, Ben Ali qui a été
condamné par contumace à trente-cinq ans de prison à Tunis ce 20 juin 2011.
Quant au putschiste Dimitrios Ioannidis, il est mort récemment, le 16 août 2010, à 87 ans... toujours en prison.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (21 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Vive la République !
Vous avez dit Europe ?
Comment sauver l’euro et les peuples européens ?
Illustrations : 1° Constantin II et Georgios Papandréou Jr ; 2° affiche du film "Z".
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/mauvaise-grece-a-quand-le-retour-96308