Après le Tchad, le Soudan. Le macabre culbuto entre les deux pays, dont les habitants du Darfour sont les principales victimes, ne cesse de se répéter et de s’amplifier. A la suite d’une grande offensive de l’armée soudanaise dans l’ouest du Darfour, ces quatre derniers jours, plus de 12 000 personnes et des humanitaires travaillant dans cette zone (dont des membres de MSF-Suisse), ont fui vers le Tchad voisin, rejoignant les 240 000 réfugiés soudanais qui y vivent déjà. Au moins 200 personnes auraient été tuées dans l’attaque d’un seul des trois villages visés, Abou Sourouj, au nord de la ville d’Al-Geneina, près de la frontière tchadienne. Abou Sourouj et Sirba auraient été complètement rasés et, fait rare, un employé du Comité international de la Croix-Rouge a été tué dans ses locaux. «Ce sont les pires violences de ces deux dernières années», selon Olivier Bercault, chercheur à la cellule d’urgence de Human Rights Watch.
Pourquoi le pouvoir soudanais repasse-t-il à l’attaque ?
L’offensive en cours, dans le plus pur style du nettoyage ethnique de grande ampleur mené en 2003-2004, allie bombardements aériens, offensive mécanisée et recours aux jenjawids, milices à majorité arabes à la solde du pouvoir. Khartoum a profité des troubles au Tchad pour reprendre l’avantage dans la région de Geneina, sous la menace des rebelles du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) depuis la fin 2007. Fortement aidé et armé par N’Djamena, le JEM est un mouvement d’obédience islamiste et zaghawa, la tribu du président tchadien, Idriss Déby. Tout début janvier, l’aviation tchadienne avait même bombardé des positions en territoire soudanais.
La vengeance de Khartoum n’a pas pris longtemps. Le JEM a dû alléger son dispositif lorsque Déby a été mis en difficulté la semaine dernière par des rebelles tchadiens, réfugiés au Soudan et armés par Khartoum. Un nombre indéterminé de combattants du mouvement de Khalil Ibrahim ont donc accouru vers N’Djamena afin de prêter main-forte à leur parrain Déby. D’autres se sont déplacés vers le Kordofan, à l’autre extrémité du Darfour. Khartoum en a profité pour passer à l’offensive et, fidèle à sa méthode, chasser les civils accusés de sympathie avec les rebelles du Darfour. Les régions d’Abou Sourouj, Serba et Salia sont majoritairement peuplées de Zaghawas.
Où en sont les missions de maintien de la paix au Darfour et au Tchad ?
Le regain de violence au Tchad et au Soudan s’explique par l’imminence de l’installation, dans les deux pays, de forces de paix multinationales, dont la présence va geler la situation militaire et politique. Le régime islamiste de Khartoum n’a plus beaucoup de temps pour renverser Idriss Déby et installer un allié au Tchad. Les rebelles soudanais voudraient s’emparer du maximum de territoires au Darfour en vue de négociations ultérieures.
Côté Tchad, l’Eufor, la force européenne à large majorité française, a repris hier son déploiement, interrompu par l’assaut rebelle sur N’Djamena. Pourtant, en coulisses, nombre d’Européens, dont l’Autriche qui fait partie de la force, ne cachent pas leur inquiétude. Les rebelles tchadiens, qui ont été défaits mais pas détruits, menacent de s’en prendre à l’Eufor. A l’opposé, Déby, qui a compris la fragilité de son armée, appelle de ses vœux l’arrivée de l’Eufor, qu’il conçoit comme une force tampon destinée à le protéger des ambitions soudanaises au Tchad.
Côté soudanais, la Minuad, la force mixte ONU-Union africaine, a signé, le week-end dernier, un accord technique avec Khartoum ouvrant la porte à son déploiement, par ailleurs très lent. Mais le vrai test de la Minuad se passe en ce moment dans l’ouest du Darfour. Son absence de réaction risque fort d’être interprété par Khartoum comme un aveu de faiblesse.