Lundi 6 juin 2011, quand je me suis rendu à Genève au Théâtre du Loup pour écouter des extraits de L'embrasure de Douna Loup, j'ai aperçu Aude Seigne en grande conversation avec l'auteur et ai pu mesurer du regard cette grande fille blonde - un mètre quatre-vingt cinq - dont les yeux étaient habillés ce soir-là d'une paire de lunettes.
Je n'avais pas encore lu ses Chroniques de l'Occident nomade, publié aux Editions
Paulette, dont voici l'adresse : CP 5312, CH 1002 Lausanne (le lien internet ne fonctionne pas...), que vous pouvez trouver aussi bien dans les librairies
Payot qu'à la FNAC ou commander dans toute bonne librairie. J'ignorais à ce moment-là que cette jeune femme de 25 ans recevrait six jours plus tard à
Saint-Malo le prix Nicolas Bouvier 2011... lors du Festival des Etonnants Voyageurs ici.
Aussi ne me suis-je pas approché d'elle. Je ne voulais surtout pas être influencé par sa personne avant de lire ses chroniques de voyage. J'essaie toujours - ce qui n'est pas toujours
possible - , même lorsqu'il s'agit d'un livre où l'auteur est amené à se livrer personnellement, de faire abstraction le plus possible de l'écrivain pour apprécier l'oeuvre en elle-même.
Ne vous attendez pas à lire des récits de voyage pleins de descriptions, pleins de détails que vous pouvez trouver dans n'importe quel guide. Ce n'est pas du tout le propos de cette jeune femme
qui, de ses 15 ans jusqu'à ses 23 ans, a parcouru le monde, sac à dos, à raison de deux à trois mois par an. Le monde ? La Réunion, l'Australie, l'Europe de l'Est et l'Inde, sans parler
de la Syrie, de la Bosnie, de l'Italie, de la Grèce ou du Burkina Fasso.
Ne vous attendez pas non plus à des chroniques rangées bien sagement dans un ordre chonologique ou focalisées sur un même lieu. Aude Seigne établit au contraire des correspondances improbables
entre les êtres et les lieux de différents points du globe qu'en dépit de leur éloignement elle réunit judicieusement, en de subtils rapprochements. Elle le fait avec une grande liberté de ton
qui caractérise si bien le nomade, au physique comme au mental, ce qui n'exclut évidemment pas les détails intimes et une certaine crudité.
Pour celui qui ne part jamais nulle part sans un livre dans une de ses poches trouées, il est réconfortant d'apprendre que cette jeune femme a toujours un livre à portée de main et que le voyage
ne signifie pas pour elle d'avoir les poches vides de toute cargaison littéraire. Elle lit donc L'idiot de Dostoïevski à Ouagadougou et
L'éducation sentimentale de Flaubert à Adelaïde. Elle cite avec à-propos Rimbaud, Bouvier ou
Michaux.
Lire ne va pas sans écrire et réciproquement. Voyager ne va pas sans aimer et inversement. Aimer, lire, écrire, voyager, Aude combine ces quatre verbes avec bonheur comme un artiste les
couleurs de la palette ou les notes de la musique. Elle aime aussi certains mots comme ravissement ou éperdu. Des noms de villes l'émeuvent avant de les
connaître. Elle nous dit tout cela avec des phrases courtes, mais chargées d'émotions.
Il est toutefois un temps où cette vie d'évasion, de somnolence, de liberté sans entraves, de lascivité, n'est plus possible. Force lui est de retourner à la vie réelle, sédentaire, après s'être
construite dans l'état nomade plusieurs mois par an. Il faut retourner sur terre après l'avoir parcourue dans tous les sens. Mais cela ne se décrète pas. Il y faut
un changement qui se prolonge pour vous intimer l'ordre de jeter l'ancre. Car, dit-elle :
"J'avais toujours pensé que je voyagerais toute ma vie, que j'aurais des amants aux quatre coins du monde, et que cela me conviendrait très bien."
C'était compter sans le verbe aimer au singulier qui ne souffrirait plus de se combiner au verbe voyager au pluriel. Cherchez l'homme...
Depuis deux ans, une éternité, Aude a posé son sac à Genève.
Francis Richard