Mercredi après-midi, une commission mixte paritaire se réunira afin de trouver un compromis entre sénateurs et députés sur la législation visant à interdire l'exploitation et l'exploration des gaz de schiste sur notre territoire. Nous arrivons au terme d'un feuilleton à rebondissements, et il me semble essentiel de rappeler l'objectif initial du combat que j'ai mené aux côtés de nombreux élus et citoyens, qui n'a pas changé : rendre impossible l'exploration et l'exploitation des huiles et gaz de schiste par fracturation hydraulique.
Au terme de débats houleux, l'Assemblée nationale avait voté une loi complexe, qui peut receler des failles juridiques que
les détenteurs des permis accordés par le gouvernement en mars 2010 sauront aisément exploiter à leur avantage, et que le groupe parlementaire auquel j'appartiens a par conséquent rejeté.
La loi votée au Sénat la semaine dernière reprend une partie de ces éléments, en ajoutant que la possibilité d'exploration - y compris utilisant la méthode contestée de fracturation hydraulique
- sera autorisée si elle a une visée scientifique. Il s'agit là d'un élément hautement contestable, sur lequel les débats porteront immanquablement.
Les derniers développements ne font que justifier les craintes que j'avais, tout comme les nombreux élus, associations et citoyens qui ont pris part aux manifestations contre l'exploitation des gaz de schiste depuis plusieurs mois, exprimé. Dans cette affaire, le gouvernement accumule les mensonges, les erreurs, et les imprécisions... De plus, comment ne pas voir qu'il a toutes les difficultés du monde à ne pas céder au lobbying acharné qu'exercent dans l'ombre les détenteurs de permis et exploitants potentiels des ressources de nos sous-sols ?
Afin de justifier la position que je défendrai, au nom de mon groupe parlementaire, lors de la commission mixte paritaire du 15 juin, énumérons quelques-uns des éléments qui illustrent la mauvaise foi et l'incompétence dont le gouvernement et la majorité présidentielle ont fait preuve depuis quelques mois :
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Un des principaux arguments avancés par le gouvernement pour ne pas abroger purement et simplement les permis accordés en
mars 2010 par Jean-Louis Borloo était que ceux-ci étaient "muets" (c'est-à-dire ne mentionnaient pas explicitement les hydrocarbures recherchés, ou les techniques d'explorations utilisées).
Ainsi, l'article 2 de la loi votée à l'Assemblée le mois dernier accordait deux mois aux titulaires de permis pour déclarer à l'Etat la technique d'exploration qu'ils comptaient utiliser -
étape nécessaire à la puissance publique pour interdire l'exploration ayant recours à la technique de fracturation hydraulique.
Or, nous avons découvert récemment que, contrairement à ce que le gouvernement avait annoncé, les permis délivrés comportaient en réalité une définition (explicite, ou implicite, avec des croquis par exemple) des techniques que les titulaires envisageaient d'utiliser. Dès lors que la référence aux techniques de fracturation hydraulique existe déjà, l'article 2 n'a plus de raison d'être, puisque l'Etat dispose déjà de l'information qu'il demande aux titulaires de lui communiquer dans les deux mois suivant la promulgation de la loi ! -
En plus d'être inutile, l'article 2 de la loi votée à l'Assemblée nationale comporte un certain nombre de risques
juridiques non négligeables. Par exemple, il est permis de se demander de quels moyens l'Etat compte se doter pour s'assurer de la bonne exécution de cet article ? Quelles garanties
apportera-t-il à nos concitoyens sur les modalités d'exécution, alors même que l'attitude du gouvernement au cours des mois écoulés a été été suffisamment contestable pour qu'on ne lui
accorde pas une confiance aveugle ?
De plus, il existe un risque que les titulaires de permis d'exploration déclarent compter utiliser une autre technique que la fracturation hydraulique, afin de voir leur permis validé, mais reviennent d'ici quelques mois à cette technique d'exploration si contestable et nocive pour l'environnement. Dans ce cas-là, comment l'Etat pourra-t-il contrôler de telles pratiques, si tant est qu'il soit en mesure de les détecter, et comment pourra-t-il revenir sur les permis accordés sans courir le risque de demandes de compensations qui s'avèreraient alors immanquablement très coûteuses pour le contribuable ? Là encore, il faudrait s'en remettre au gouvernement, alors que son attitude est loin d'avoir été au-dessus de tout soupçon depuis le début de cette affaire... Rappelons que le Premier ministre et les ministres de l'énergie et de l'environnement concernés, avaient dans un premier temps annoncé l'abrogation pure et simple des permis, avant de faire marche-arrière sous la pression des lobbys en agitant le risque juridique potentiel de demandes de compensation des titulaires de permis. - Parlons justement du risque juridique, lié à des demandes de compensations exorbitantes que les titulaires pourraient faire valoir si les permis étaient abrogés, qui a été évoqué à de multiples reprises par la majorité et le gouvernement. Ce risque apparaît en réalité largement surestimé, et augmentera au fil du temps si les permis ne sont pas abrogés le plus tôt possible. En effet, d'une part, l'indemnisation du fait de la loi est loin d'être acquise et automatique pour les titulaires de permis qui chercheraient compensation (rappelons ce qui s'était passé à propos des OGM : ni Monsanto, ni les autres firmes concernées n'avaient été indemnisés suite au vote de la loi interdisant les OGM, alors que les sommes en jeu étaient très conséquentes). D'autre part, plus le temps passe, plus le coût des compensations que l'Etat pourrait être amené à payer augmente (si on laisse exécuter les permis, la perte potentielle pour les titulaires sera plus grande). Enfin, il faut comparer le risque financier pour l'Etat que représentent ces compensations aux dégâts potentiels des activités d'exploration et d'exploitation sur l'environnement. Ces coûts sociaux et environnementaux, s'ils seront nécessairement mutualisés, contrairement aux coûts associés à la perte des permis pour leurs détenteurs, peuvent être très lourds.
- Les titulaires de permis agitent également un autre risque juridique, en menaçant d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Il convient là aussi de tempérer ces craintes : si tant est qu'ils passent de la parole aux actes, un recours devant le Conseil constitutionnel ne leur donnerait pas automatiquement gain de cause.
- La loi votée au Sénat propose, dans un cadre défini et contrôlé par l'Etat, le recours à l'expérimentation. Le lien avec le cas de la loi sur les OGM, même s'il remonte à quelques années, s'impose à mon esprit. Or, l'Etat n'avait alors pas indemnisé les entreprises ayant subit des pertes du fait de la loi interdisant les OGM. Le même principe pourrait s'appliquer aux exploitants de gaz de schiste qui s'estimeraient lésés du fait de la loi.
- Pour finir, une considération sur l'attitude déplorable du gouvernement au long de ces débats : au Sénat, jeudi dernier, nous avons eu le regret de constater que ni la Ministre de l'environnement, ni le Ministre de l'énergie, n'ont daigné se déplacer pour défendre la loi jusqu'au terme des débats... Le gouvernement, encore une fois, ne s'est pas montré à la hauteur des enjeux et de la responsabilité qui est la sienne dans cette affaire et qu'il refuse encore d'assumer pleinement.
Ma détermination, comme celle du groupe parlementaire que je représenterai demain avec mon ami Germinal Peiro à la commission mixte paritaire, est intacte : nous nous battrons pour que les permis d'exploration soient abrogés, et que l'épée de Damoclès qui pèse sur l'environnement et la santé des populations résidant dans les territoires concernés par les permis disparaisse définitivement.
Pascal Terrasse