Eglise fortifiée de Unawihr Sur les bords de la Lauch à Colmar
Un week-end de trois jours en perspective, longtemps que nous n’avons pas fait une petite coupure, le soleil est annoncé, l’envie de s’évader un peu plus loin que le bout de la rue nous titille sérieusement. C’est décidé, on part pour trois jours, oui, mais où ? A Lausanne ? Dommage c’est un peu court pour bénéficier du produit touristique proposé par un hôtelier, nous irons une autre fois en prenant le temps de réserver plus en amont. Là, il faut faire très vite, alors pourquoi pas l’Alsace ? Bien que nous connaissions déjà beaucoup de choses, il y a toujours des sites, des monuments, des curiosités à découvrir ou à revoir. C’est décidé, nous réservons une chambre d’hôte à Ribeauvillé, d’où nous visiterons Colmar, car, à Colmar, si les installations sportives, les salles de réunion nous sont familières, ô paradoxe ! la vieille ville et la Petite Venise nous sont encore inconnues.
Nantis d’une réservation pour deux nuits à la Maison des Roses à Ribeauvillé, nous partons vers l’Alsace toute proche, environ deux heures de route, l’expédition n’est pas très aventurière, elle est à notre porte, mais c’est un autre monde qui nous attend, car l’Alsace c’est toujours la France, mais c’est déjà un autre univers avec une culture propre très influencée par le monde germanique rhénan.
La Maison des roses porte bien son nom. Elle est nichée au pied de la colline où les propriétaires entretiennent un joli jardin en terrasses, où ne fleurissent pas que des roses. Une visite de ce ravissant jardin, en guise d’accueil, nous met tout de suite dans l’ambiance et la chaleur alsacienne, tant celle du climat que celle des hôtes. Et pour meubler cette première journée, nous décidons de laisser la voiture au parking et de visiter la ville de Ribeauvillé qui nous tend ses bras peints aux couleurs chatoyantes qui ornent désormais l’Alsace. La Grande rue, dont toutes les maisons sont désormais ravalées et peintes de vives couleurs, offre un paysage chatoyant et propose un joli parcours qui, sous les rayons du soleil, de plus en plus obliques, prend un relief particulier et des coloris encore plus chauds. Les maisons à colombages sont traditionnelles en Alsace où elles ont été préservées, et mêmes restaurées, quand cela s’avérait nécessaire.
Nous ne nous laissons pas tenter par une escalade vers les trois châteaux qui dominent la ville qu’ils protégeaient à une certaine époque. Cette aventure est réservée à des randonneurs confirmés que nous ne sommes pas, aussi nous contentons-nous d’une balade dans les ruelles adjacentes avant de déguster un verre de vin du pays, mais pas n’importe quel vin, un gewurztraminer dont la ville est un des hauts lieux.
Le dépaysement est assuré, le paysage magnifique, la vigne très verte à cette saison, elle forme un dégradé de verts avec les verts plus profonds des forêts qui couronnent les premières collines vosgiennes. Et, comme la nappe phréatique est abondante en Alsace, la plaine ne souffre pas de la sécheresse, elle garde, elle aussi, une teinte printanière qui constitue, avec les reliefs environnants, un ensemble d’une grande fraîcheur agrémenté de villages richement colorés. Et, de temps à autre, une cigogne quitte son nid où les cigogneaux se blottissent encore timidement, pour mettre un peu de mouvement dans un ciel calme, où cependant quelques nuages annoncent des orages prochains. Dans un village, nous avons même photographié une cigogne venue chercher sa nourriture à quelques mètres de nous et explorer les espaces entre les voitures en stationnement.
Nous terminons notre première journée alsacienne à la Winstub zum Pfifferhüs où nous dégustons une spécialité locale que nous avons inscrite sur nos tablettes avant de partir car, quand on se rend en Alsace, on sait qu’il y a de bien bonnes choses à manger et il faut procéder avec ordre et méthode pour constituer un menu harmonieux pendant trois jours. Nous avons donc prévu de manger : le jambonneau sur lit de choucroute, la flammenkûche, la tarte à l’oignon, le baekoffe (il y a autant d’orthographes que de restaurants), le kugelhof (même remarque, toutes les formes sont possibles, de la plus germanique à la plus francisée) et éventuellement d’autres spécialités à découvrir. Comme la modération s’impose, je ne rappellerai pas que la région de Colmar est le haut lieu du vin en Alsace et qu’on y boit d’excellents gewurztraminer comme je l’ai déjà dit, mais aussi des riesling et des pinot gris (ou tokay) d’excellente tenue. Nous avons bien sûr usé sans abuser évidemment.
Le lendemain, l’orage a le bon goût d’éclater avant que nous descendions de voiture et de se calmer bien vite pour nous laisser découvrir le magnifique centre de la vieille ville de Colmar, entre la collégiale Saint Martin, aux dimensions monumentales, et l’Ancienne Douane, un ensemble patrimonial de très grande qualité, parfaitement entretenu, dont les immeubles, datant du XIIIe au XVIe siècle, rivalisent de couleurs et d’audace. On peut y voir la Maison des cent têtes qui comporte effectivement cent têtes, toutes différentes, sculptées sur sa façade, la Maison Pfister construite pour un chapelier bisontin (mes concitoyens fréquentaient déjà cette ville au XVIe siècle) et une multitude d’autres édifices arborant colombages, oriel, et même parfois encorbellement. Cet ensemble architectural est très réjouissant, un véritable enchantement pour ceux qui, comme moi, sont amateurs d’histoire et de vieilles pierres. Ayant épuisé les charmes de ce quartier, nous poursuivons notre visite un peu plus loin, juste une balade de quelques minutes, pour rejoindre la Petite Venise, là où maisons anciennes et verdure se disputent le miroir de la Lauch. Un espace assez réduit mais un charme fou où les touristes se bousculent, surtout les photographes amateurs.
Et, comme toujours, les jambes commencent à fatiguer et les pieds à souffrir, c’est le moment de monter dans le petit train comme des touristes peu avertis et peu courageux, mais ce moyen de transport offre quelques avantages, il permet de mettre des noms sur des monuments déjà vus, de mettre souvent aussi une histoire sur ces monuments, ou au moins des anecdotes, et même de découvrir des monuments qui ont échappé à notre curiosité pourtant bien affûtée.
Pour terminer la journée, nous décidons de visiter le musée Unterdenlinden qui est installé dans un magnifique cloître et héberge une collection de peintures (retables principalement), de Martin Schongauer, l’enfant du pays, ou d’autres peintres de l’époque gothique ou de la renaissance rhénane. J’aime particulièrement ces peintures qui évoquent les primitifs flamands et respirent la sérénité et la foi en un Dieu bienveillant qui veille sur ses ouailles avec amour et tolérance. Schongauer a envahi les églises au XVIe siècle comme Bartholdi, autre enfant du pays, a envahi les lieux publiques de ses statues plus ou moins monumentales. Une statue de la Liberté a même été implantée au centre d’un rond-point dans les quartiers commerciaux de la périphérie. Personne n’oubliera le sculpteur du Lion de Belfort et de la statue de la Liberté de New York, mais nombreux sont ceux qui passeront à côté des œuvres de Schongauer, et pourtant… nous ne sommes pas critique d’art donc nous en resterons là.
Comme dans toute bonne visite, il faut garder le meilleur pour la fin, nous avons donc réservé notre dernière visite au fameux retable d’Issenheim exécuté au XVIe siècle par Grünewald. Il se compose d’une sculpture en bas-relief entourée de deux panneaux fixes peints sur bois, sur lesquels viennent s’articuler deux autres panneaux mobiles de chaque côté de la sculpture, ce qui aboutit à une sculpture, deux panneaux fixes et deux volets peints sur les deux faces, donc dix tableaux et toute une série de variantes selon l’ouverture et la fermeture des différents panneaux, en fonction des diverses périodes du calendrier liturgique. Il faut ajouter à cela, une prédelle qui, elle aussi, peut être ouverte ou fermée et offrir d’autres possibilités encore. Le sujet de ce polyptique est évidemment religieux et reprend les thèmes habituels qu’on trouve dans de nombreuses églises. Il accorde une large place à Saint Antoine, car il provient d’une église des Antonins à Issenheim, comme son nom l’indique. Une œuvre rare, un joyau, un chef d’œuvre, le vocabulaire manque pour désigner cet admirable ouvrage.
Gavés d’image mais l’estomac léger, nous décidons de quitter Colmar et de faire un petit détour par Sélestat avant de prendre la route du retour. Ce dimanche soir, la petite ville est calme, même déserte et un peu endormie, il est difficile de trouver un restaurant ouvert et pourtant cette ville a quelques éléments de patrimoine qui méritent le détour. Le restaurant déniché, sur le boulevard ceinturant la cité, est tout à fait convenable et nous y mangeons même fort bien, car en Alsace la chair est bonne. Il faut s’ouvrir l’appétit avant d’affronter un séjour dans cette province.
Notre dernière journée, sur le chemin du retour, est consacrée à quelques visites plus campagnardes, si on peu appeler campagne une bourgade comme Riquewihr qui, selon l’un de mes amis résidant dans les environs, n’héberge plus guère d’habitants mais seulement des commerces et des restaurants. Ce magnifique bourg, qui draine habituellement des flots de touristes, est relativement calme en ce lundi matin, ce qui nous convient parfaitement. Nous avions bien sûr fait le choix d’effectuer cette visite en dehors du week-end afin d’éviter la cohue. Nous sommes, comme chaque fois que nous y venons, émerveillés par ce musée en plein air qui souffre, comme toutes les villes musées, d’une magnificence avantageuse aux marchands du temple. C’est dommage qu’une telle qualité patrimoniale ne se conjugue pas avec des activités humaines plus nobles comme l’artisanat, l’exploitation de la vigne (on trouve surtout des boutiques de viticulteurs installés à l’extérieur ou dans les villages alentour, ou d’autres activités qui rendraient la ville moins factice.
Avant de passer par Riquewihr, nous faisons un détour pour visiter l’église fortifiée d’Unawihr, blottie derrière son rempart, où catholiques et protestants cohabitent dans un œcuménisme paisible en séparant néanmoins leurs morts, les uns à l’intérieur du rempart, les autres à l’extérieur. Quelle belle image que cette petite église sur son promontoire arrondi comme un ballon vosgien, toutes proportions gardées, évidemment.
Dernière étape, avant la fin du séjour, Kaysersberg, ville allongée entre la rivière qui la baigne et le château qui la protége, dont l’attrait n’a rien à envier à celui de Riquewihr, mais moins commerciale et plus chaleureuse. La vallée, qui la traverse, lui confère un air de Petite Venise, en moins citadin. C’est d’un charme fou, un vieux pont de pierre, des terrasses sur l’eau, des maisons à colombages, un ancien lavoir, de la verdure, des fleurs, un paysage enchanteur, Riquewihr, moins encombré de touristes et de marchands, a beaucoup plus d’âme. Un paradis où il ferait bon s’arrêter plus longuement, y lire un vieux livre sur une terrasse au-dessus de cette vallée noyée dans la verdure et les couleurs des maisons qui l’entourent. Mais le séjour est terminé, il faut rentrer à la maison en jurant de revenir bien vite, tellement il y a de choses à voir dans cette région.
Il n’est même pas difficile de rompre le charme, tant les yeux sont emplis d’images, qu’ils ne peuvent plus en accepter d’autres, la bouche à trop goûter pour déguster encore, l’estomac refuse un nouvel arrivage de gourmandises, le nez ne sait plus distinguer le riesling du pinot gris, le coffre de la voiture est chargé de bouteilles. Il ne reste qu’une chose à faire, rentrer pour digérer, classer les photos, oublier avant que l’envie vous reprenne de repartir vers une autre aventure dans le temps, les goûts, les saveurs, les paysages, l’histoire et la gourmandise, en Alsace bien sûr !
Denis BILLAMBOZ ( alias Débézed ) Photos de l'auteur
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