Malgré son essor croissant dans le microcosme éditorial, l’ebook enrichi est encore une nouveauté dans le paysage. Walrus, après ces quelques mois passés à explorer le domaine, s’est cassé les dents sur de nombreux points avant de trouver des solutions valables aux problèmes posés. Quelquefois, ces solutions se sont avérées être des compromis. Mais le défi, passionnant, nous a toujours poussé à réfléchir aux possibilités artistiques comme techniques qui s’ouvraient à nous. C’est cette modeste expérience que nous voulons vous faire partager, non pas comme table des lois, mais comme une première pierre dans la réflexion qui s’annonce. May the Morse be with you!
1/ D’abord, il faut penser l’enrichissement non pas comme une pièce rapportée, mais comme un complément utile. Le contenu média doit compléter intelligemment le texte: il ne doit pas l’alourdir, le rendre vide de sens ou pire, répéter le même message que lui. Auteurs, votre métier s’enrichit: désormais c’est toute une palette de médias qui s’offre à vous. Et c’est à vous d’en connaître l’étendue, de la maîtriser, et d’en apprécier les limites.2/ L’enrichissement ne doit pas noyer le texte: l’équation « plus de médias = un meilleur livre » ne fonctionne pas. De fait, le livre produit serait simplement indigeste et gadget. On ne doit pas tomber dans le piège d’ajouter tout et n’importe quoi: il faut choisir ses médias avec parcimonie et intelligence.
3/ Pensons en terme d’expérience. A la base, nous sommes des lecteurs, avec des goûts et des affinités de lecture qui lui sont propres. Servez-vous de votre point de vue pour imaginer ce que vous aimeriez (ou pas) voir dans le livre: portez-y un regard d’enfant. N’ajoutez pas simplement tout ce qu’il est possible de caser au niveau technique.
4/ Respectons tous les acteurs de la chaîne numérique. Dorénavant, que vous soyez éditeur ou auteur, vous n’êtes plus seuls. Les éditeurs qui produiront de l’enrichi seront comparables à des sociétés de production audiovisuelle: ils combineront, agrègeront des visions artistiques et des compétences, dans le respect de la collaboration. Un réalisateur, un graphiste, un sound-designer, un scénariste de gameplay, est un artiste au même titre que l’écrivain. Il nous faut rester humble vis-à-vis du talent de chacun, et respectueux des compétences. Ce n’est pas parce qu’on fait l’acquisition d’un ordinateur portable et d’une caméra HD qu’on se transforme en Spielberg du jour au lendemain. Laissons donc faire les pros.
5/ Il faut demeurer toujours ouvert à l’expérimentation. On ne peut pas tout réussir du premier coup, et certaines innovations qui vous paraîtront extraordinaires n’intéresseront peut-être aucun lecteur. Il faut savoir prendre des risques, et notamment celui d’innover, d’essayer, d’être précurseur… au risque de se tromper.
6/ Pensez le livre comme un univers. Le livre est un lac dans lequel on se plonge: il est une immersion. Il faut donc penser son arborescence de manière à ce qu’elle soit sans faille, penser ses liens, ses renvois, comme un cortex unique. Le livre, même relié au web, demeure un objet fermé, enclos sur lui-même. Il englobe le lecteur. De la même manière, en attendant que nos connexions sans fil soient performantes, omniprésentes et éventuellement gratuites (et si possible inoffensives, merci pour nos enfants), on doit prévoir un maximum de médias offline, c’est-à-dire présents dans le livre sans besoin de se connecter au web. Rien de plus énervant que de télécharger son livre enrichi pour passer un trajet en avion et de se rendre compte, une fois parti, que les enrichissements ne sont disponibles qu’une fois connecté. Le poids du fichier sera plus élevé, mais la satisfaction du lecteur aussi.
7/ Réfléchissons à la facilité d’usage: le lecteur n’est pas un technicien informatique, ni un programmeur, et peut-être même pas un geek. Toutes les interactions doivent être clairement balisées, faciles d’accès et simples d’usage. De même, sauf dans le cas d’un livre dont la nature intrinsèque serait d’être enrichi, on doit pouvoir apprécier le texte sans interactivité. Rien de pire que de frustrer un lecteur. Le livre ne doit pas être source de frustration.
8/ Auteurs, éditeurs: si possible, pensez en amont vos livres enrichis. N’attendez pas d’avoir un texte fini pour commencer à vous en inquiéter. Pour être pertinent, l’enrichissement ne doit pas venir dans un second temps: il doit être pensé pendant le processus de creation, et faire l’objet d’échanges entre l’éditeur, le producteur, l’auteur et les autres intervenants artistiques. Dans l’industrie cinématographique, on ne pense pas les effets spéciaux après le tournage, mais bien avant.
9/ N’ayons pas peur du jeu: le gameplay est un concept nouveau pour les éditeurs, mais pas pour les auteurs parmi lesquels certains ont toujours rêvé de pouvoir faire interagir avec le livre, à travers des questions/réponses, des possibilités de choisir son chemin, de customiser son personnage, de choisir ses propres recettes dans son livre de cuisine… cela ne s’appliquera pas à l’ensemble des livres, mais à certains. Ce peut être un rêve à conquérir. L’aventure ne fait que commencer. Et l’imagination est notre seule frontière.
10/ Envisageons comme une évidence le multiplateforme: contrairement aux applications dédiées, les fichiers ePub (et très bientôt l’ePub3) permettront une compatibilité parfaite entre tous les supports de lecture. Bien entendu, à l’heure où nous parlons, Apple seul est en mesure de proposer des livres aussi performants. Mais les éditeurs doivent penser à moyen terme dans leurs investissements et leurs politiques éditoriales: dans quelques mois, avec les dernières spécifications ePub3, une multitude d’appareils seront en mesure de lire des livres avec vidéos, photos, sons… Choisir le ePub, c’est faire le choix de la compatibilité, et donc d’un partage plus vaste, libéré des constructeurs et des appareils.
11/ Il faut arrêter de penser que c’est facile. Le bouton « Créer un beau livre enrichi » n’existe pas, même dans les suites logicielles les plus perfectionnées. Et les meilleurs exports inDesign n’y feront rien: pour un rendu fluide, agréable à l’oeil, rapide et performant, le code informatique doit être limpide. Et pour cela, il n’y a qu’une seule solution: savoir tout faire, tout contrôler, voire tout coder à la main. HTML5, CSS3, Javascript… tout cela s’apprend, demande du temps et des efforts. Ce n’est pas parce que c’est de l’informatique que ça coûte moins de temps et d’argent. De la même manière, ce n’est pas parce qu’on est un codeur de génie que l’on fera un bon éditeur numérique. Les métiers sont différents: respectons-les. Editeurs traditionnels et acteurs du numérique doivent collaborer et partager leurs compétences respectives.