Dans Le projet Argyronète, curieusement, les hommes du futur ont besoin des « prescients » d’aujourd’hui – Van Vogt, Anderson et quelques autres – et tentent de les rencontrer grâce à la sonde temporelle.
Dans La sortie mène à l’intérieur un ordinateur livre à l’innocent Bob Bibleman des schémas militaires top-secret. Erreur, accident ou manipulation ?
Voici, en une dizaine de textes à peine, un tour d’horizon de l’œuvre et des inspirations pour le moins atypiques de Philip K. Dick mais ici à travers de courts récits débarrassés du principal défaut de leur auteur : un délire permanent sur lequel l’écrivain renchérit sans cesse pour au final ne plus parvenir qu’à noyer le lecteur dans un vaste n’importe quoi dont les qualités narratives mais aussi paranoïaques, ou présumées telles, deviennent les premières victimes ; bref, un aspect rappelant fort ce courant littéraire caractérisé par une forme d’absurde, voire d’abscons, qui ne plaît pas à tout le monde – et pour cause : la littérature est supposée avoir du sens, du moins pour ceux d’entre nous qui aiment les récits, par opposition aux délires.
Ajouté à ça qu’une telle ficelle narrative présente comme principal avantage de ne pas nécessiter d’avoir des idées à présenter, puisque de toutes manières l’aficionado du genre – souvent très imaginatif – en trouvera toujours, et le tableau est complet : l’œuvre de Dick, en réalité, dissimule sa vacuité intellectuelle sous la surface obscure de la folie, en laissant au lecteur le soin d’y trouver des choses qui existent peut-être mais que l’auteur n’y a jamais mises ; l’astuce est à présent bien connue tant on la retrouve chez de nombreux créatifs, quel que soit leur média d’expression, qui y ont planté les graines d’un succès aux faux aspects élitistes dont la seule explication tient non dans la crédulité de leur audience mais plutôt dans l’affection – infiniment respectable – de celle-ci pour les objets sans queue ni tête qui ne disent pas leur nom.
D’ailleurs, les trouvailles de l’audience méritent elles aussi qu’on s’y attarde, car elles se caractérisent par de telles divergences d’un lecteur à l’autre qu’on en vient à se demander si elles existent vraiment. Si j’admets volontiers qu’une œuvre cesse d’appartenir à son auteur pour devenir dès sa publication la propriété de son audience, qui peut ainsi l’interpréter comme bon lui semble, y compris en complète opposition des intentions de l’auteur le cas échéant, tout le problème ici tient dans ce qu’il y a autant d’interprétations que de lecteurs. La question s’impose donc : une œuvre qui propose autant d’interprétations possibles veut-elle vraiment dire quelque chose ? En d’autres termes : la pluralité des interprétations possibles ne rend-elle pas inutile la recherche d’une interprétation puisqu’en fin de compte on peut y trouver ce qu’on veut ?
Quant à la dimension paranoïaque des écrits de Dick, elle trouve au moins une partie de son succès dans l’époque de leur parution, soit cette guerre froide qui vit tant de terreurs, qu’il s’agisse de la chasse aux sorcières du maccarthysme ou bien de la perspective alors fort probable d’une guerre atomique, que ces récits semblaient dans l’air du temps : les lecteurs de l’époque y entraperçurent donc des choses qu’on ne peut plus y distinguer à présent. Pour autant, il ne s’agissait pas d’idées que leur auteur voulait exprimer mais une simple conception du réel que sa psyché tourmentée y injectait, et certainement sans que le personnage le veuille vraiment – et sans qu’il s’agisse non plus d’une volonté affirmée, claire et consciente de capitaliser sur la naïveté du lecteur, faute d’un meilleur terme.
D’ailleurs, il vaut de souligner que cette dimension paranoïaque de l’œuvre de Dick, si elle caractérise l’ensemble de sa production, la limite aussi. Tout chez Dick, en effet, tourne toujours autour de réalités truquées, d’androïdes simulacres, de complots planétaires,… bref, d’un univers résolument dévoué, et tout entier, à duper, détruire, saper le ou les protagonistes d’une manière ou d’une autre, et de préférence la plus détournée. En d’autres termes, Dick a toujours plus ou moins raconté la même chose, bien que sous un nombre de variantes si nombreuses qu’on deviendrait fou rien qu’à essayer de les compter – au point qu’on se demande s’il ne s’agissait pas de son but en fin de compte, inconsciemment au moins… En fait, Dick est son propre plagiaire.
Autant de défauts que vous ne trouverez pas ici. Les dix nouvelles qui composent ce recueil s’avèrent bien trop courtes pour que les tendances paranoïdes et délirantes de leur auteur puissent y faire de réels dégâts, de sorte qu’en restant ainsi dans les limites de l’acceptable, elles parviennent à fournir une expérience de lecture tout à fait satisfaisante…
Note :
La toute dernière édition française de poche de ce recueil s’intitule Le Roi des elfes et se vit publiée chez Gallimard (collection Folio SF n° 384, 322 pages, ISBN : 978-2-07-039916-1) en octobre 2010, mais expurgée d’un de ses textes.
L’Homme doré, Philip K. Dick, 1953-1979
J’AI LU, collection science-fiction n° 1291, mars 1991
288 pages, env. 2 €, ISBN : 2-277-21291-1