A la veille de la fête de la musique et pour contribuer à la mise en question du spectacle qui se dit vivant…
Aux origines des innombrables fêtes qui scandent la calendrier des politiques culturelles comme autant de liturgies laïques, cette critique, on le sait, qui remonte à la Lettre à d’Alembert sur les spectacles de l’ami Jean-Jacques Rousseau.
Quoi ! ne faut-il donc aucun spectacle dans une République ? Au contraire, il en faut beaucoup. C’est dans les Républiques qu’ils sont nés, c’est dans leur sein qu’on les voit briller avec un véritable air de fête. À quels peuples convient-il mieux de s’assembler souvent et de former entre eux les doux liens du plaisir et de la joie, qu’à ceux qui ont tant de raisons de s’aimer et de rester à jamais unis ? Nous avons déjà plusieurs de ces fêtes publiques ; ayons en davantage encore, je n’en serai que plus charmé. Mais n’adoptons point ces spectacles exclusifs [1] qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur ; qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et l’inaction ; qui n’offrent aux yeux que cloisons, que pointes de fer, que soldats, qu’affligeantes images de la servitude et de l’inégalité. Non, peuples heureux, ce ne sont pas là vos fêtes ! C’est en plein air, c’est sous le ciel qu’il faut vous rassembler et vous livrer au doux sentiment de votre bonheur. [...] Mais quels seront enfin les objets de ces Spectacles ? Qu’y montrera-t-on ? Rien, si l’on veut.
Avec la liberté, partout où règne l’affluence, le bien-être y règne aussi. Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voie et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. »
Jean-Jack Rousseau inventeur de la fête de la musique ? CQFD
Il faudra attendre 2012 pour être un peu plus savants sur la chose et, heureuse circonstance, la studieuse rencontre annoncée ci-dessous aura lieu en pleine agitation de la société du spectacle politique et de la comédie de la conquête du pouvoir réunies.
Colloque international de Paris 2012 ‘Rousseau et le spectacle'.
Appel à contributions
Ce colloque organisé conjointement par les Universités de Paris-Sorbonne, Paris-Diderot et Paris Ouest, se tiendra à Paris et Nanterre les jeudi 15 mars, vendredi 16 mars et samedi 17 mars
2012.
Le spectacle apparaît comme une notion centrale dans la pensée, les pratiques et la biographie de Rousseau. Sa réflexion critique sur les spectacles
procède, en effet, d'une problématique à la fois intellectuelle et existentielle impliquant le « système » de l'oeuvre en sa totalité. Car le spectacle, chez Rousseau, n'est pas
seulement l'emblème de la dénaturation : s'il est bien à l'origine du mal dans la société (le riche impose théâtralement au pauvre un faux contrat social), il est aussi une expérience
essentielle chez Jean-Jacques. D'une part il expose à ses contemporains le haut prix du « spectacle de la Nature » consolateur de tous les maux et preuve persistante de la
Providence.
D'autre part il se révèle toujours obsédé d'images et de chimères et il voit dans la fête antique le spectacle (humain et sociétal) pur par excellence : celui où rien n'est représenté et où le spectateur est à lui-même (et à ses congénères en empathie) son propre spectacle. Doit-on encore rappeler l'admiration que Rousseau porte envers ceux qui savent « argumenter aux yeux » ? S'il assure préférer le signe à la lettre, le signe en question est bien souvent un geste : lèvres du favori scellées par le cachet, têtes cinglées des pavots, etc.
Deux ans après les 250 ans de la Lettre à d'Alembert sur les spectacles, et cette fois dans la perspective de l'année rousseauiste 2012, la notion polysémique et ouverte de « spectacle » offre de riches perspectives pour proposer une étude de Rousseau selon la cohérence d'un éclairage nouveau. Il s'agira de faire miroiter les multiples facettes de son génie en conciliant notamment, autour de cette notion centrale, le penseur et le créateur de formes.
Rousseau spectaculaire : la question se prête à des entrées multiples, entre histoires des idées et des genres, esthétique et politique, ethos et pathos. Le colloque souhaite être l'occasion de mesurer par exemple, entre scène et politique, l'importance cruciale du concept (lui même richement polysémique) de « représentation » dans l'oeuvre de Rousseau — et de relire l'oeuvre à cette lumière; occasion encore d'évaluer tout ce qui unit et sépare sa dénonciation de la catharsis de son acceptation, dans le cadre de la lecture romanesque, du phénomène de l'identification… et même d'un amour du théâtre dont les dénégations véhémentes de Rousseau suggèrent assez l'intensité. Occasion donc d'explorer finalement de près ce qu'il en est de Rousseau auteur — texte et partitions — pour la scène, de réévaluer son apport à l'intermède, au mélodrame (genre dont on lui crédite l'invention), au théâtre de société…
Les axes suivants pourraient être privilégiés :
I. Le contempteur des spectacles : A. Place du spectacle dans l'anthropologie historique du second Discours ; B. La lettre a d'Alembert sur les spectacles ; C. Jugement sur les spectacles de Paris et fête des vendanges de Clarens dans La Nouvelle Héloïse
II. Rousseau auteur de théâtre et d'opéra. A. Rousseau amateur éclairé fréquentant le théâtre ou l'opéra (des autres) : ses témoignages de spectateur B. Problématiques à propos ses créations ; C. Choix de metteurs en scène d'oeuvres de Jean-Jacques (18e-21e siècle ?).
III. Jean-Jacques théâtral. Voyeurisme et exhibition de soi. Spectacles imaginaires et fantasmes. L'exhibitionnisme de l'intellectuel : mise en scène et visibilité publique de l'homme de lettres ; affichage, poses ostentatoires et masques de la sincérité (antipodes du paradoxe du comédien ?)
IV. Spectacle et séjour dans/sortie de la caverne platonicienne. Connaissance, représentation, imprégnation fictionnelle (emprisonnement-aliénation ? vs. échappée libératoire ?), vision imaginative. Sens visuel et pulsion scopique ; savoir, voir, ‘Lumières'.
V. Le personnage de Jean-Jacques sur les planches : Panégyriques vs. blâmes : Les Philosophes de Palissot et leur postérité, depuis le 18e siècle jusqu'à aujourd'hui.
Les propositions de communications sont à adresser (d'ici au 31 janvier 2011) aux trois organisateurs : Jacques Berchtold (berchtold.jacques@wanadoo.fr), Christophe Martin (christophe.wmartin@orange.fr) et Yannick Séité (yannick.seite@univ-paris-diderot.fr).
Information publiée sur le site Fabula
La prochaine note remontera un peu plus loin dans le temps à la recherche des origines de la critique du spectacle.
Déjà publié, dans la même rubrique :
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