« …les gens du monde, mes tristes pareils, comme tout ce qui vient d’eux m’irrite, m’attriste, m’oppresse, leur vide et bruyant bavardage, leur perpétuelle et monstrueuse vérité ; leur effarant et plus monstrueux égoïsme, leurs propos de club ! Oh le ressassage des opinions toutes faites et des jugements appris, le vomissement automatique des articles lus, le matin, dans des feuilles et qu’on reconnaît au passage leur désespérant désert d’idées, et là-dessus l’éternel plat du jour des clichés trop connus…leur idiot contentement d’eux-mêmes, leur suffisance épanouie et grasse, le stupide étalage de leurs bonnes fortunes…l’obésité de leurs cerveaux, l’obscénité de leurs yeux…beaux pantins…comme je comprend les bombes de l’anarchie… ».
On se doute qu’il se gagne ainsi de solides rancunes.Au moindre faux-pas, il risque sa tête.La société se venge de ceux qui ne respectent pas les règles.Ceux qui jouent trop personnel, comme Oscar Wilde, sont ignominieusement mis hors-jeu.On le déteste, Lorrain s’en moque.Il est devenu le chroniqueur le mieux payé de Paris, ses papiers sont autant attendus que redoutés.L’extravagant Lorrain « tortillant sa moustache » reste irrévérencieux, espiègle, farceur.Un soir chez Maxim’s, dix prostituées, ramassées au hasard sur le trottoir, l’accompagnent.Au portier horrifié, il explique que ce sont-là des dames du monde déguisées.Se plaçant alors, à l’entrée du restaurant, d’une voix forte de Monsieur Loyal, Lorrain annonce ces dames : « La môme Poil-dru et ses comparses ! » .Les dîneurs amusés font de la place aux filles.Scandalisées, les demi-mondaines qui tenaient compagnie à ces messieurs se lèvent et quittent l’établissement.
En permanence, le talentueux provocateur cherche le scandale.Devant tous ceux qui ont choisi de cacher leur vice, il a choisi de clamer les siens réels ou imaginaires.Aux yeux de ses ennemis, Lorrain n’est qu’une loupe encrassée de mauvaise qualité. Ses mœurs contre nature, son goût pour la canaille, son dandysme excessif, patchouli, maquillage et drogues, tout cela rejaillit évidemment sur sa parole, sur ses écrits. « Il s’exagère », le mot est balancé par un journaliste.Cette épouvantable démesure qui caractérise Lorrain devient une arme pour ses ennemis.Un autre confrère ne le rate pas : « … nul ne s’entend comme Monsieur Jean Lorrain à faire de grands gestes pour nous révéler en fin de compte de tout petits vices, presque aussi anciens que le déluge.Une tapette dans un verre d’eau ».Le mot amuse.
L’équivoque attire en ce tournant de siècle « …une femme en collégien, le képi sur l’oreille, la poitrine sanglée dans la tunique à boutons de métal… ».Malgré le caractère répressif de l’époque hostile à l’homosexualité, on aime l’androgynie, on nie la distinction, dans la société comme dans l’art en général, des genres et des règnes.Filles-fleurs, sirènes auxcorps évanescents, les femmes fatales sont à l’honneur.La mode est encore à la maigreur, au corps sans épaisseur, à la phtisie « …la beauté du 20e siècle, le charme de l’hôpital, la grâce du cimetière… »