Il était "celui qui savait", celui qui vient de partir. Il avait fait le long voyage. De la Pologne jusqu'à Paris en son jeune âge. Il n'avait rien voulu garder de cette
histoire-là. Ce n'était pas un porteur de mémoire. pas au sens conventionnel du terme. Ni un transmetteur. Mais c'était un personnage de roman.Ferrailleur à 14 ans, non par choix évidemment, devenu capitaine d'industrie, en un raccourci singulier. Avec
une lucidité joyeuse sur la place qu'il occupait parmi les notables de sa ville. Jamais dans la nostalgie. Avec un rire qui m'éclabousse encore de lumière.C'est vers lui, qui ne parlait pas, ou si peu, de ceux que l'on nomme "des taiseux", que j'étais cependant venue
chercher les pièces d'un puzzle familial éparpillé. Lui encore, qui m'avait confié les photos de cette tante Hanna tenant dans ses doigts avec grâce un fume cigare, image peu conventionnelle dans
la Pologne des années 1930. Lui, qui m'avait raconté Esther, sa soeur, dans sa lumineuse adolescence, puis dans sa jeunesse arrêtée en pleine ascension par l'emprise de leur père. Que saurai-je
sans lui de ce monde englouti?Du dernier de mes mohicans , mon oncle Nathan, je vais désormais, je le sais, retenir la magnifique leçon de
vie. Et poursuivre la mienne, à vivre pleinement. Il avait fait barrage aux fantômes du passé. Son rire sera ma mémoire et mon guide.