Léviathan, sculpture d'Anish Kapoor au Grand Palais, à Paris
Publié le 19 juin 2011 par Onarretetout
Léviathan, tu m’engloutis. Je suis venu volontairement, mais, une fois passée la porte tambour, je suis happé. Est-ce l’intérieur d’une oreille ? Les bruits que j’entends, d’où viennent-ils ? De l’extérieur ? Y aurait-il un monde hors de ce ventre ? Car c'est bien un ventre (estomac ? utérus ?). Comment atteindrai-je ces trois ouvertures qui sont si hautes, qui peu à peu seront envahies de lumière, dont le tissu sera rouge comme le sang qui irrigue la peau ? Je ne les atteindrai pas. Y aurait-il des surfaces planes dans cet univers de courbes ? Le sol me semble s’enfoncer sous l’ouverture face à moi, ouverture qui n’est qu’un leurre puisqu’elle est bouchée par un disque noir. Je suis enfermé, la lumière pourtant vient de l’extérieur, elle dessine sur la surface les traits d’une verrière, jouant avec les nuages. Parfois, brièvement, l’ombre d’un oiseau traverse l’espace courbe au-dessus de moi. Et je comprends que le bruit que j’entends est l’écho des conversations dans la chose dont je n’imagine pas encore la forme, écho de mes mains qui claquent, de mes pieds qui marchent. Un peu comme dans une piscine fermée. Mais il n’y a pas d’eau. Etranges sensations dans une structure gonflée sans le ronflement d’une soufflerie. Il me semble que le monde entier tient dans ce corps qui me contient. Une sorte de vertige me prend par instants. J’ai chaud. Il faudrait m’allonger sur le dos et regarder là-haut l’ombre d’une tête sans visage qui tourne lentement au sommet de la paroi, où se croisent les lignes.
Léviathan, je suis sorti. Et je découvre comme tu gis au milieu de la nef du Grand Palais, dans une lumière blanche, comme si tu t’étais échoué là, hors de ton élément, monstre à trois têtes, autour duquel nous paraissons minuscules. Nous posons notre main, notre oreille sur cette peau couleur aubergine pour en sentir la vibration. Est-ce la tienne ou celle des visiteurs invisibles dont nous faisions partie il y a quelques minutes ? Tu nous as laissé sortir et le pluriel me revient comme si, à l’intérieur de toi, j’étais dominé par mes propres sensations et qu’une fois parvenu à l’extérieur j’étais à nouveau un de ces humains qui te regardent à terre sans savoir s’ils doivent s’en réjouir, s’habituant peu à peu à ton voisinage.
Cette sculpture est exposée dans le cadre de Monumenta 2011 jusqu'au 23 juin 2011.
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