Chacun sait que dans sa grande sagesse, la Bourgogne a consacré non pas des prix (comme le 1855) mais des terroirs dans sa propre classification. En d'autres termes, nous savons tous que même si, par succession, un crétin hérite d'un morceau de Chambertin ou de Bonnes-Mares, c'est lui le coupable si le vin n'est pas bon, et non le terroir. A Bordeaux, à l'exception remarquable de l'intangible 1855 (basé sur la valeur des vins à l'époque), on souhaite consacrer aussi des hommes et non seulement des terroirs (d'autant plus qu'ici, en achetant son voisin, on peut lui donner son nom).
A Bordeaux, il est aisé de citer des domaines dont la gestion n'a pas été toujours confiée à des mains expertes. On sait que les classés sont sur des terroirs significatifs, et que s'il y a une mauvaise gestion, ce ne peut (ce ne doit) être que temporaire. Mais on ne doit pas oublier non plus que bien des châteaux, inexistants en 1855, pourraient parfaitement s'intégrer dans ce classement toujours prisé mais largement relativisé par l'évolution des choses, les nouveaux venus, les terroirs inconnus à l'époque.
Bref : rien de parfait.
Que dire sur l'AOC Saint-émilion grand cru ? D'abord que c'est quelque part devenue une AOC bizarre, l'échelle des prix allant à l'aise de 1 à 100. C'est donc hétérogène a minima !
On sait aussi que depuis une et même deux décennies, quelques châteaux se sont très sensiblement élevés au-dessus de leurs pairs des années 60, 70, 80. On peut citer, entre autres, La Mondotte, Tertre Roteboeuf, et naturellement Angelus et Pavie (qui commence un vaste programme d'agrandissement de ses locaux). Les prix de ces vins se promènent à l'aise dans les 3 chiffres alors que bien des confrères stagnent dans deux petits chiffres.
Bon, devant ce constat, et si on accepte l'idée que des classements sont de bonne chose pour la valorisation des terres, pour la réputation internationale d'un cru, pour la mise en valeur d'une région, et si on défend l'idée qu'il serait injuste de ne pas tenir compte de nouveaux venus qui ont ou vont porter un nom bien au-delà de sa réputation actuelle, que faire ?
Le socle d'un nouveau classement
La base fédératrice d'un nouveau classement qui tienne la route doit être la qualité du terroir. Sans chipoter la chose dans de multiples catégories, on peut envisager sereinement 3 niveaux : exceptionnel, très bon, bon. Lister les critères pouvant servir à déterminer cette hiérarchie n'est pas très compliqué, à commencer par la valeur des terres en se basant sur les transactions de ces 30 dernières années. Les locaux savent où c'est bon, n'en doutons pas une seconde.
Savoir ensuite comment les propriétaires actuels s'occupent de leurs vignes et de leurs chais ne doit pas être très compliqué à décrire dans un dossier succint.
Trouver les prix de sortie et les prix actuels est quasi enfantin : la place a toutes ces données sous la main depuis des lustres.
Reste la question délicate du "poids" à donner au vin lui-même, à son style actuel, aux commentaires qu'il suscite, sans tomber dans le piège facile des modes ou du faux monopole du goût que détiendrait un critique majeur. Le cas qui est le plus évident pour tous est certainement Figeac, fabuleusement bon dans les années 60 et 70, et douloureusement discuté ensuite, avec tout récemment, une vigoureuse nouvelle tendance vers le haut qui impressionne plus d'un amateur.
Comme il est hors de question de ne baser un nouveau classement QUE sur la qualité des terroirs, et qu'on souhaite l'actualiser périodiquement, c'est quelque part le mariage de la carpe et du lapin. On peut voir une solution de sagesse en préconisant un renouvellement non pas tous les dix ans, mais tous les trente ans ou même cinquante ans. Bref, donner du temps au temps comme disait l'autre.
Ensuite, la sagesse voudrait que la dégustation sur 10 ou 15 millésimes soit faite par un panel de 15/16 dégustateurs : négociants (2/3) et critiques (1/3). En prenant soin, dans chaque section, d'y intégrer quelques non-français pour donner une certaine assise universelle à la chose. Bien sûr, dégustation à l'aveugle et suivant un protocole strict (là, le GJE peut aider au schmilblick). :-)
Pour des raisons évidentes, on devra éviter des possibilités de recours sur les résultats de ces dégustations, car c'est alors entrer dans des procédures sans fin dont on se gaussera à l'infini. Les agréments en sont un bel exemple.
In fine, et pour revenir au commentaire de Bizeul, on ne peut pas envisager dans une même catégorie de classement des vins dont le prix va, disons de € 30 à € 500 et +. Il faut garder la part de rêve, et rester hyper-sélectif.
Bon, tout cela se discute, se discutera et comme d'hab, ce qui va sortir sera loin d'être parfait. Mais, en lisant cet arrêté officiel, on voit à quel point il y a des zones d'ombres susceptibles de créer pas mal de conflits, à commencer par cette dégustation dont on ne connaît pas les règles. Vai-je déposer un dossier pour mon domaine si je ne sais point comment on va et qui va déguster mes crus ? A mon avis, c'est là un point majeur non explicité dans cet arrêté officiel. Délicat, très délicat !
Un exemple d'un cru inconnu il y a seulement dix ans et déjà très haut !
Bon, pas très compliqué d'appliquer cela au vin, non ?