Neuilly-sur-Seine : les enseignements d'un psychodrame
Publié le 12 février 2008 par Christophe Laurent
Quels sont les enseignements du
psychodrame électoral de la ville de Neuilly-sur-Seine ?
Neuilly-sur-Seine, ce havre de paix pour la France huppée, n’est plus Neuilly la belle, calme et
tranquille. Pour peu, la voilà requalifiée de Neuilly la [re]belle, comme en écho au mot verlan « rebeux » désignant ces personnes issues de l’immigration d’Afrique du Nord. Un
comble ! Quelle mauvaise presse pour cette ville ne voudrait que l’on parle d’elle qu’en termes choisis. Voilà seulement l’actualité en a décidé autrement. Coup sur coup l’actualité est
sévère avec Neuilly-sur-Seine, cette ville qui aujourd’hui veut faire des infidélités à Nicolas Sarkozy.
D’un côté, la guerre de succession à Neuilly-sur-Seine est entrée dans la scène médiatico-politique
sans crier gare, même le président Nicolas Sarkozy a semblé un temps pris de cours, optant pour le mutisme énervé face à la meute des journalistes assoiffés d’informations. Il faut le comprendre
lui qui voulait aller vite, très vite, fort, très fort, partout, là où les autres ne sont jamais allé pour reprendre un de ses thèmes favoris, le voilà pris au piège dans le seul endroit où il se
croyait à l’abri, chez lui. A Neuilly-sur-Seine. Cette ville qu’il a conquise par sa seule hargne politique lui cause aujourd’hui le plus grand souci, et risque de le faire vaciller au plus
mauvais moment. Les sondages sont au plus bas. Le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant est même envoyé au front et concède au journal L’Express comme un aveu du bout des lèvres d’un enfant concédant à ses parents l’énorme bêtise qu’il vient de faire « chacun le
sait, le président a eu à gérer des problèmes personnels. » Personnellement, il m’avait semblé voir en Nicolas Sarkozy un homme plutôt heureux au bras d’une jeune et belle ex-mannequin et
fier de l’être, voire excédé de se sentir épié dans ce bonheur ne pouvant profiter, comme il l’entendait, des bords du Nil ! Et patatras … voilà que l’on montre nous un homme qui « a du
consacrer un peu de temps à régler ces soucis ». J’aurai tendance à dire « bienvenue au club ! » Car n’est-ce pas là le lot de tout à chacun. Pour ceux qui ont encore la
chance d’avoir un boulot, ne leur répète-t-on pas assez que les problèmes personnels on les laisse à la porte ! Pour les autres malheureusement, le problème c’est justement de ne pas avoir
de boulot !
D’un autre côté, Neuilly-sur-Seine fait l’objet de la une judiciaire avec ce procès pendant le
tribunal de Nanterre. Le motif ? Un incendie d'une chambre de bonne au cours duquel cinq pompiers de Paris ont trouvé la mort en 2002. L'installation électrique vétuste semble avoir été la
cause directe du feu. Et les faits sont troublants pour l’image de cette ville aux avenues si bourgeoises. Voilà révélée au grand jour un autre visage, celui de ces gens qui profitent de la
misère des autres pour louer une chambre de bonne, 9 m² [oui, vous avez bien lu] à des personnes en situations irrégulière sur le territoire français. Etrange cette situation, non ? Triste
coïncidence de l’actualité qui voit l’image du président de la République ternie en même temps que Neuilly-sur-Seine.
Concernant le sujet central de ce papier, les journalistes n’ont pas assez de qualificatifs pour
désigner la situation rocambolesque de la campagne électorale de Neuilly-sur-Seine.
David Martinon, jeune porte-parole du président de la République, parachuté candidat maire de la
ville soi-disant la plus huppée de France, se trouve être débarqué de manière assez malpropre par le clan politique de Nicolas Sarkozy. Mal accueilli, le « parachutage » politique d’un
jeune loup en politique soutenu par Nicolas Sarkozy en personne [ou plutôt par son ex-femme Cécilia – voir à ce propos l’analyse du journaliste Yves Derai, grand connaisseur de l’ancien fief du président de la République] est la belle
démonstration que les ressorts de la démocratie sont a priori aussi vivaces à Neuilly-sur-Seine qu’ailleurs et que les électeurs n’entendent pas facilement être contraints dans leur choix. Voilà
qui est dit, monsieur le président de la République.
Le parti de la majorité, l’UMP, a en effet été amené à trouver un habillage à cette situation digne
d’un feuilleton de mauvaise facture. Sauf que la réalité, comme le prétendait Pirandello, dépasse souvent et de loin l’imaginaire. Le résultat probable de cet imbroglio et des négociations à
cette heure s’avère des plus surprenants. Le nouveau candidat de l’UMP pour les élections municipales de Neuilly-sur-Seine ne serait autre que l’actuel dissident de l’UMP, Jean-Christophe
Fromantin, dont le seul intérêt immédiat est d’être celui vers lequel se dirigent en majorité les intentions de vote. Le secrétaire général de l'UMP, Patrick Devedjian, a bien précisé que
Jean-Christophe Fromantin n’appartenait pas à l’UMP, mais la pirouette politique est tout trouvée : « ma proposition c'est que Neuilly soit une ville symbole de l'ouverture »,
dixit Patrick Devedjian. Et revoilà l’ouverture politique, stratégie astucieuse de Nicolas Sarkozy pour éperonner la gauche de manière durable, utilisée pour masquer les petites rivalités
mesquines de requins de la politique. Pas sûr que les habitants tranquilles de Neuilly apprécient à sa juste valeur cette pomade.
Seulement, entre-temps Jean-Christophe Fromantin, courtisé par le parti présidentiel, pose ses
conditions. Il propose à l’UMP de le soutenir. « J'ai proposé à l'UMP et au Nouveau Centre de venir me rejoindre sur une liste de rassemblement ». Mais il n’a pas manifestement
l’intention d’aménager son projet selon le bon vouloir du parti majoritaire. Voilà le ralliement d’un dissident qui sent le souffre et la rébellion. Car si elle s’éteint de fait par la reculade
de l’UMP, une nouvelle dissidente est déjà annoncée.
Arnaud Teullé responsable local de l'UMP à Neuilly-sur-Seine et ancien colistier de David Martinon,
a ainsi annoncé, ce mardi 12 février, sa candidature aux municipales, contre le candidat divers droite que l'UMP vient de décider de soutenir.
La réaction des électeurs de Neuilly est sans appel pour ce vaudeville préélectoral. Ils n’y
comprennent plus rien. Pourquoi avoir deux listes de la même majorité à Neuilly-sur-Seine ? Ils ne leur restent plus qu’à prendre conscience qu’ils sont otages des petits et grands
arrangements entre amis politiques démontrant sans ambiguïté que la motivation première des candidats n’est pas tant la défense des intérêts de la ville que la guerre de clans.
Nicolas Sarkozy, grand manitou de cette élection décidément très spéciale et dont on rappellera à
l’envi qu’il n’est plus maire de Neuilly-sur-Seine, devra assumer les conséquences de ce fiasco. D’ailleurs, Jean-François Copé lui-même a énoncé doctoralement : « dans un mois ces
élections seront terminées (…) il faudra tirer les leçons de tout çà (…) J’imagine que le Chef de l’Etat est dans cet état d’esprit et y travaille ». Pas certain que le président de la
République aux fins fond de la Guyane apprécie beaucoup !? Ce dernier voudrait certes que l’on l’interroge plus sur les motifs de sa présence en Guyane, qu’on lui parle de Mars.
Seulement, les ficelles de l’élection de Neuilly-sur-Seine, où son fils Jean est directement impliqué, sont tellement grosses que les journalistes, se faisant l’écho cette fois de ce qui bruisse
dans les campagnes françaises, lui répondent en lui demandant ce qu’il pense des échéances électorales de mars.
Il n’y a pas si longtemps que cela le Chef de l’Etat avait souhaité s’impliquer personnellement
dans les élections municipales. Puis devant la bronca des responsables locaux, il est devenu de plus en plus évident que l’hyper président devait concentrer son hyper activisme aux affaires
nationales et internationales et les laisser faire sur le terrain. C’est que les électeurs même de droite, voire surtout de droite, commencent à renâcler. Que ne leur a-t-on promis ? Monts
et merveilles ! Et voilà que neuf mois plus tard le tableau est beaucoup plus sévère : les caisses sont vides, la France par la voie de son élégante ministre de l’économie, Christine
Lagarde, se trouve amenée à présenter des explications au niveau européen sur la manière dont la France compte respecter le cadre budgétaire sur lequel elle s’était engagée. Et les élus locaux de
l’UMP de craindre, dans un contexte où les sondages sont au plus bas pour Nicolas Sarkozy, un vote sanction. Chacun tient à sa place.
La naïveté ne doit pas pour autant nous submerger. Les élections municipales demeurent
essentiellement un rendez-vous local et le triste exemple de Neuilly-sur-Seine n’en est qu’un exemple pitoyable. Car ce que l’on attend de savoir c’est comment la famille Sarkozy aura négocié ce
camouflet pour le fils, Jean de son prénom. Les élections cantonales semblent lui être promises. Pas sûr que le fils accepte les injonctions, euh pardon, les conseils de son père. L’UMP risque
peut-être de perdre quelques villes d’importance mais certainement pas Neuilly-sur-Seine. Et comme l’a dit Christian Estrosi, candidat sur la ville de Nice pour défendre sa légitimité face au
sortant là aussi dissident, M. Peyrat, il faut mieux être un maire soutenu par la majorité que le contraire. Car à la clef, ce sont des subventions, des facilités qui peuvent être accordées voilà
ce que laisse entendre ce membre du Gouvernement vantant sur son blog son amitié avec Nicolas Sarkozy depuis plus de vingt ans comme on arbore une médaille de guerre.
Chacun sait que Nicolas Sarkozy est élu pour cinq ans et comme l’a annoncé Jean-François Copé, une
fois les élections municipales terminées il faudra bien tirer les leçons de tout çà et ce que nous devons retenir, et ce sur quoi les deux hommes finiront par tomber d’accord c’est
que « tirer les leçons » « Ce n'est pas que la question d'un remaniement » mais « passer la vitesse supérieure sur toute une série de sujets sur lesquels les
Français nous attendent ». Claude Guéant l’annonce également dans son interview au journal L’express « il faudra inscrire de nouvelles fonctions dans la composition du prochain
gouvernement » et même si « le président conservera le principe d'un gouvernement restreint » il est
confirmé qu’il « faudra changer dans la gouvernance après les municipales ». Ce que les journalistes ne commentent pas c’est pourquoi ces annonces sont-elles faites en amont des
élections municipales !? Les pronostics sont-ils si mauvais que cela pour la majorité présidentielle ou s’agit de faire peur tant aux électeurs qu’aux élus de droite pour ramener tout le
monde au calme comme l’appelle de ces voeux le président de la République. Autre point d’interrogation omis c’est de savoir pourquoi ces annonces pourtant d’importance sont-elles faites par,
excusez-moi de l’expression, des secondes mains !? Car ni Jean-François Copé, ni Claude Guéant n’ont de responsabilité officielle au Gouvernement. Et François Fillon feint l’indifférence
face à tous ces remous, mais personne ne souhaiterait être à sa place tant les couleuvres semblent énormes. Il suffit de bien lire l'interview de Claude Guéant et de constater que celui-ci parle
sans fausse modestie de lui "proche du président" pour justifier sa prédominence sur le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, relégué à la fonction de subalterne et de donner ici et
là du "nous" et du "notre politique" quand en fait il parle de l'action du président de la République. Etrange ... on en viendrait presque à se demander qui est le maitre à bord !
Entre temps, nous attendrons de voir si la « jurisprudence Martinon » vaudra pour la
candidate de l’UMP à la ville de Paris. Pour ce qui est de Martinon lui-même son sort semble désormais scellé « en réalité, éjecté de Neuilly, et à terme, certain d’être démis de ses
fonctions de porte-parole de l’Elysée, Martinon exigeait une porte de sortie, que seul le chef de l’Etat pouvait lui garantir. Une forme de chantage assez fréquente en politique. On démissionne
toujours en échange d’une promotion. C’est chose faite. Normalement, Martinon devrait hériter d’une ambassade. Belle récompense pour une campagne ratée! "oh, il aura une petite ambassade, dans un
pays pourri", confie un proche de Nicolas Sarkozy » (source : Challenges). Finalement, on rendra hommage à cet homme qui aura osé présenté sa
démission au président de la République en signe de défi et en preuve de courage, un président contraint de lui refuser. En tout cas, ce sera notre choix face à l'attitude d'un Jean Sarkozy qui
il y a peu encore disait de façon tristement prémonitoire à l'adresse de Martinon "nous te soutiendrons à mort".