Beauvoir est surnommée "le Castor" dans de nombreuses dédicaces de Sartre, parce qu'en Anglais, son nom ressemble au mot "beaver". Les Mandarins, qui restera la grande entreprise purement romanesque de Beauvoir, n'est pas dédié à Sartre, mais « à Nelson Algren ». Si vous vous demandez pourquoi, jetez un œil aux superbes Lettres à Nelson Algren.
Les Mandarins, c'est donc un diptyque qui ne se veut ni une autobiographie, ni un reportage, mais une simple évocation. Ecrit en 1954, le roman obtient le prix Goncourt et consacre Beauvoir dans le champ de la fiction. C'est pourtant avec son essai Le Deuxième Sexe, paru en 1959, qu'elle marquera définitivement l'histoire des idées et l'histoire des femmes.
L'action de ce premier tome commence à Paris, le soir où la retraite allemande est attestée par la radio et les journaux. Elle est suspendue aux alentours de l'automne 1946 ou de l'été 1947. Entre temps, nous suivons principalement quatre personnages, fortement inspirés des intellectuels parisiens de l'après-guerre : Sartre et la revue des « Temps Modernes » sont plus ou moins transposés dans le personnage de Henri et son journal « L'Espoir ». Robert Dubreuilh et sa femme Anne sont également un couple qui peut rappeler Beauvoir et Sartre, mariage mis à part. Dans la galerie de personnages qui entourent ceux-là, plus Nadine, les experts reconnaîtront sans doute Merleau-Ponty, Albert Camus et toute la faune de l'époque.
Mais là n'est pas l'essentiel. Les Mandarins vaut surtout parce qu'il pose les questions essentielles qui se sont posées aux hommes et aux femmes, de façon très générale, après le cataclysme de 1939/45, et dans l'attente des cataclysmes suivants. Beaucoup en 1938 ne voulaient pas croire à la guerre ? Le roman se termine sur l'hébétude de Henri lorsqu'il réalise les horreurs commises en U.R.S.S. depuis 1945. Paule et Henri s'aimaient follement avant 1939, mais le passé est définitivement passé, tant la guerre a inscrit un avant et un après dans les histoires individuelles autant que dans l'Histoire collective.
C'est un peu tout ça que j'ai trouvé dans ce premier tome : le roman d'une génération, ainsi qu'un concentré des débats qui ont éclaté parmi les intellectuels de gauche après l'euphorie de la Libération. Mais, peut-être parce que c'est Beauvoir qui écrit, et pas Sartre, le roman n'est pas simplement soumis aux idées qu'il véhicule, et l'auteur prend le temps et le plaisir apparent de composer réellement un roman. C'est-à-dire un récit d'événements dans un contexte, une série de portraits d'hommes et de femmes auxquels on s'attache.
Le deuxième tome devrait évoquer la découverte de l'Amérique. Je m'en pourlèche les babines à l'avance, car pour moi la lecture de L'Amérique au jour le jour 1947, journal américain de Beauvoir, avait été jubilatoire...
501 pages, coll. Folio - 7,40 €
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