La vie continue

Publié le 18 juin 2011 par Gentlemanw

Elle a été belle, jeune et frêle, sous les yeux de sa propre mère, une femme sévère et fragile, elle-même sous la coupe d'un homme aimant mais d'un siècle où les femmes devaient subir et se taire. Elle a vécu les guerres, arrivées dans sa jeunesse puis dans son corps de femme, subissant la disparition de ses fils dans les combats, les rafles et les héroismes sanglants de résistance. Elle a protégé ses filles, pour leur donner de l'amour, une vie meilleure, des bas nylon, un goût de la mode, et surtout leurs clefs de leurs libertés, leurs féminités.

Il a été champion de course à pied, puis envoyé au lycée comme interne dans la préfecture du canton, loin de sa famille, comme l'étaient les premiers de la classe. Il a été toujours brillant, ingénieur aux arts et métiers, à Cluny pour découvrir entre deux classes les vin de Bourgogne. Il a gardé cette passion, lors de ses voyages, lors de ses dîners d'affaires pour les gros contrats qu'il négociait. 

Elle était là ce soir là sur le trottoir, sous la pluie, avec son trench, sa robe un peu mouillée par ce début de pluie, il l'avait aimé instantanément, elle aussi. Des bras si forts, si chauds. Une existence simple, cossue et variant au gré des mutations dans les villes de province. Ils avaient eu de beaux enfants, perdus de beaux enfants, vécus la guerre ensemble. Elle avait ce goût du simple et du chic, avec de belles coutures, de beaux escarpins, quelques chapeaux.


Puis la reconstruction, leurs petits-enfants, les cris, et les sourires, les évolutions, les fêtes familles, la vie, la maladie. Ce soir, la nuit leur pesait sur les épaules, quand l'un ou l'autre tournerait le dos, plierait une dernière fois les genoux.

Une dernière fois, ils se serraient l'un contre l'autre, pour une danse, comme au premier jour, le premier soir, la première nuit.