Pénélope Cruz est dans la rue !

Par Memoiredeurope @echternach

21 mai Marseille. Je me permets une journée de pause entre deux voyages. En fait je m’accorde une effraction dans Marseille, même si une grande partie de mon temps sera cloîtré, rédaction oblige. Je dois en effet rendre un rapport qui soutient des thèmes touristiques transversaux qu’un ensemble d’experts sont en train d’explorer du point de vue de l’évolution du tourisme culturel ou des modèles économiques, des effets de marque ou des valeurs de la durabilité. Double langage à la fois institutionnel et de terrain, auquel il faudra que je m’habitue un peu. J’essaie en général de parler avec des mots, sur des choses touchables et qui me touchent. Je manie très mal le vocabulaire des anglo-saxons adeptes du marché ! Pour tout dire la sécheresse de toutes ces études m’effraie un peu.

A l’heure du déjeuner, je prends le métro Gare Saint Charles, direction le Vieux Port. Une manière de raccourci en effet, entre deux séances d’écriture. Une piqûre de rappel de mes promenades précédentes, la dernière datant de février. Je constate qu’une exposition sur l’Orientalisme en Europe ouvre dans quelques jours. Il faudra donc revenir !

Pour une plongée dans le métro, c’est une plongée. Je m’étais habitué voici déjà une dizaine d’années, puis il y a quatre ans avec Marie, à admirer la marée du samedi lorsque les banlieues de Marseille descendent en ville. Toutes les cultures, toutes les beautés mâles et femelles, toutes les modes de rues, tous les accents, tous les mélanges, en un mot !

Mais en ce samedi chaud et ensoleillé, je suis bluffé ! Ce n’est pas que les fois précédentes, les filles étaient absentes. Mais en tout cas j’étais resté sur l’impression qu’elles étaient un peu soumises ; comme en retrait ! Cette fois c’est tout le contraire. Des hordes ; comme des amazones qui s’exposent, sans crainte, créant un style, chacune et toutes à la fois. La plus grande en taille domine sans parler un groupe bavard, où les couleurs se déclinent et où les déplacements se lancent tout en souplesse, comme un banc de poissons qui se déforme en permanence. La dominante, donc, a rejeté ses cheveux en arrière et les a arrêtés par un crayon dans un savant négligé. Elle a dessiné ses lèvres et fardé ses yeux sans trop, mais avec aisance et science. Et elle possède le port d’une danseuse. Si elle n’a pas songé à Pénélope Cruz en s’habillant et en maquillant, je veux bien être pendu. C’est à tomber !

Et à la sortie, tout en bas de la Canebière, tous ces bancs de poissons frétillants investissent l'espace public en englobant les passants solitaires et semblent les digérer avant d’en recracher les fantômes. Les garçons paraissent en berne, éberlués eux aussi, dépassés, sauf ceux qui se préparent déjà en chantant à soutenir le match de l’OM. Mais ceux là sont bien serrés, dans quelques cafés. Bien séparés du monde, dans une ambiance de classe en goguette. Tous uniformes avec leurs maillots de supporter. Par contre les filles ne supportent personne. Ce sont des filles et non des groupes, avides de l’air qu’elles respirent et de l’effet qu’elles produisent. Elles passent avec un air narquois, mais sans invectives, devant la mairie où les membres d’un mariage tentent de se rassembler. Elles vont sans doute disparaître dans l’eau et retourner sirènes. Je sens déjà que leurs nageoires font saillie.

Je prends alors le ferry-boat, celui qui restera toujours le mot longuement épelé par les comparses de Pagnol. La scène est terminée. Je redescendrai ainsi sur l’autre rive du port.

La tranche de mérou, sur ses petits légumes et ses asperges vertes, et dont la tranche était parsemée de fleurs, me laisse dans la bouche un sentiment de plaisir intense.

Ainsi va Marseille !