"Poznanski", wikimedia commons, domaine public.
S’il existe des fonctions qui ont particulièrement évolué dans l’entreprise, tant au niveau de leurs contenus que de leurs appellations, les ressources humaines arrivent dans le peloton de tête du « caméléon de bureau ».
Dans les entreprises du 19ème siècle, le « service paie » était la dénomination la plus exhaustive de la fonction RH pour aboutir à l’avènement de la « direction des ressources humaines », appellation largement répandue de nos jours.
Ce qui est particulièrement intéressant pour l’observateur du monde du travail, c’est de constater combien les différentes appellations de la fonction correspondent à une évolution du monde des entreprises.
Témoin de l’époque et des représentations du salariat dans l’esprit des employeurs, le DRH moderne est lui-même une étrange et curieuse créature au cursus estudiantin multiforme.
En effet, les origines professionnelles des cadres de la fonction sont souvent très exotiques malgré les voies universitaires ou de grandes écoles dédiées : experts en psychologie, en sociologie, littéraires pur jus, gestionnaires de tout poil ou scientifiques estampillés. Pour exemple l’auteure de ce texte est issue d’études en décoration/étalagisme, négocation commerciale bilingue, sociologie/économie/communication…(trouvez l’intrus et vous gagnez le gros lot ou un tour de manège supplémentaire).
Le seul lien entre des origines professionnelles aussi disparates et la fonction réside dans l’histoire de l’organisation des entreprises à laquelle la RH est très intimement liée.
Du service « paie »…
Pour mieux cerner l’essence de la fonction, il faut faire l’effort de retourner au milieu du 19ème siècle.
A cette époque, l’usine moderne s’impose comme fille de la révolution industrielle.
Finies les manufactures et l’hégémonie des corporations…l’organisation humaine des usines tend alors vers un fort pouvoir de la hiérarchie, les ouvriers d’une même catégorie se voient imposés un salaire unique.
Pour faire respecter ces nouvelles règles, les patrons font appel à des hommes de rigueur et d’ordre : des anciens militaires ou des administratifs pour qui rien ne doit dépasser.
Mais le développement du salaire unique catégoriel s’accompagne de la naissance de syndicats fortement portés par la lutte des classes.
Après la période des grandes grèves ouvrières puis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les syndicats se voient totalement reconnus et deviennent une figure emblématique des entreprises avec lesquels il convient de négocier sous peine de fortes turbulences.
La fonction RH évolue alors en recrutant nombre de juristes dont la mission sera essentiellement de résoudre les conflits sociaux et d’organiser la relation patron/salariés à coup de règlements internes et d’application stricte d’articles du Code du Travail.
… en passant par la fonction Personnel et Relations Sociales…
Dès les années 60, on prend conscience de l’importance du phénomène de motivation/démotivation. Bienvenue à la psychologie dans l’entreprise !
Ces années permettront d’ouvrir les portes de la RH aux psychologues et aux sociologues qui prôneront une approche plus humaine et moins « rentre dedans ».
Cette nouvelle approche trouvera une nouvelle occasion d’exprimer son potentiel avec les 2 crises énergétiques des années 70 : l’entreprise se doit de montrer ses capacités d’adaptation, sa force d’implication tant collective qu’individuelle.
La RH se veut résolument « psy ».
…Vers la Direction des Ressources Humaines.
Les années 80 montrent un tournant décisif : croissance irrégulière, internationalisation des marchés, compétition exacerbée, élévation massive des qualifications des salariés.
La motivation, la force de travail et la prévision des aléas deviennent le garant de l’évolution continue des entreprises. La volonté de changement social se fait ressentir à tous les niveaux avec son cortège de désillusions, d’avancées réelles et de prise de conscience parfois douloureuse.
Hélas, le ciel des années 90 s’assombrit fortement avec une croissance particulièrement faible, un esprit de rigueur, des restructurations à tous les coins de rues, des compressions de coûts, la généralisation de la flexibilité.
Les années 2000 voient la poursuite du phénomène de mondialisation avec un fort essor des NTIC*, un éclatement des frontières et des distances mais aussi un renforcement de la « loi du plus fort ». Seules les états des zones géographiques qui pourront allier les atouts financiers, la technologie, les bonnes politiques et un système éducatif adapté sortiront leur épingle du jeu.
La RH prend le cap du management des hommes et des organisations, doublé par celui de la stratégie et de l’esprit purement comptable.
Demain, le Management de l’Humain ?
Il n’est pas évident de se projeter dans le futur d’une fonction aussi « caméléon » mais tout du moins peut-on donner une tendance pour les années à venir.
Outre les contraintes déjà évoquées et toujours plus fortes que fera peser la mondialisation, on peut déjà parier sur la poursuite de l’élévation de la qualification des salariés avec son corolaire négatif : la dépréciation totale des diplômes de premier niveau (le bac faisant déjà office de franche rigolade !).
On assistera au creusement du fossé entre une minorité de salariés qui jouira d’un niveau de vie toujours très correct et une majorité de salariés qui se battront toujours plus pour gagner en sécurité et pour maintenir des conditions de vie acceptables. Resteront sur le bas-côté les exclus dont la cohorte risque fort de se densifier…
La cohabitation entre différentes génération (les X, les Y…) d’actifs posera de plus en plus problème puisqu’elles n’ont rien en commun et surtout pas une vision partagée de leur appartenance à l’entreprise et de ce qu’elles en attendent.
En conclusion, une nouvelle mutation de la fonction se profile avec un DRH homme- orchestre, fortement orienté vers le management et l’animation optimale des équipes.
Les paris sont d’ors et déjà ouverts quant à la future appellation de la fonction et le pedigree attendu des cadres…
*Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication