Corine Gantz
Une fois par mois, Expat Forever vous propose de rencontrer une femme expatriée, un expat entrepreneur ou parfois les deux en même temps afin de mieux comprendre et d’appréhender la vie au quotidien en expatriation. Ce mois-ci, j’ai rencontré Corine Gantz qui vit à Los Angeles depuis de nombreuses années. Elle tient un très joli blog en anglais qui s’appelle Hidden in France. Elle vient de publier un roman Hidden in Paris qui relate les aventures de trois américaines expatriées à Paris. Tout un programme !
Expat Forever: D’où êtes-vous originaire ?
Corine Gantz : Je suis née à Paris et j’ai grandi à Saint Germain en Layes, une ville proche de la capitale.
EF : Pouvez-vous me retracer votre parcours de femme expatriée ?
CG : J’ai rencontré mon futur mari à Paris. Nous vivions alors tous les deux dans le seizième arrondissement de Paris. Il était Américain avec une connaissance phonétique du français et j’étais nulle en anglais et refusant d’apprendre. J’avais aussi d’énormes préjugés sur l’Amérique en général et les Américains en particulier. Il s’est vite avéré que son travail ne lui permettait pas de rester en France et d’y gagner sa vie (il est producteur de télévision et crée des émissions pour HBO, showtime, CBS etc.).
EF: Quelles difficultés avez-vous rencontré au début de votre installation aux Etats-Unis ?
CG : La plus grande difficulté a été une perte d’autonomie et le sentiment de ne pas pouvoir m’exprimer. J’avais le sentiment de devenir invisible. Je ne parlais pas la langue, je ne comprenais rien à rien, je ne pouvais pas travailler légalement (et pour faire quoi?) je n’osais pas conduire une voiture--automatique pour la première fois--dans ses rues absurdement inclinées… et les hommes ont cessé de me regarder car nous habitions dans Noe Valley (un quartier de San Francisco) qui était à l’époque un quartier principalement homosexuel (moi je pensais que mon charme avait cessé d’opérer). Et puis les hommes américains ne sifflent pas les femmes dans les rues, ils sont élevés avec le sentiment que ça serait impoli. Les hommes français pensent que l’impolitesse serait de ne pas siffler.Je pense que si nous avions tout de suite emménagés à Los Angeles, l’acclimatation aurait été plus douce, parce que pour quelqu’un qui a toujours vécu en Ile de France, le soleil 300 jours par an a des charmes assez irrésistibles. Hélas, j’ai passé les deux premières années à San Francisco. Mark Twain a dit qu’il n’avait jamais subit d’hivers aussi froid que son été à San Francisco. J’aurais du écouter Mark Twain. Les nappes de brouillards glaciales de San Francisco se sont répandues jusqu’à mon moral et n’ont pas lâché prise pendant au moins deux ans.
EF : Aujourd’hui vous vous sentez française, américaine ou les deux à la fois ? Et comment les locaux vous perçoivent-ils ?
CG : Américaine avec les Français et Française avec les Américains. Mon accent français fait que je suis immédiatement mise à part. Il est indéniable qu’il y a une relation parfois antagoniste et parfois compétitive entre nos deux cultures. Il est impossible pour les gens qui me rencontrent pour la première fois de ne pas essayer de me comparer à tous leurs aprioris. C’est drôle, mais quand la personne ne mentionne pas ma nationalité c’est presque toujours parce que c’est un sujet difficile pour eux. Je suis une mangeuse de Freedom Fries, en d’autres termes. La plupart des gens sont bienveillant et curieux et me posent beaucoup de questions. Ils me rassurent en disant qu’ils sont francophiles. C’est un drôle de mot Francophile, je trouve. Il n’est pas sans une certaine implication de l’existence de Francophobes. Et puis systématiquement on m’explique que moi, au moins, je suis différente. Pas comme les ‘autres’ français. Pas rude du tout, pas arrogant. En un mot, pas ‘trop’ française. Ceci dit, dès que je vais en France, c’est la même chose en sens inverse. Je trouve en France le même mélange de curiosité, d’admiration et de méfiance à l’endroit de tout ce qui est en provenance des Etats-Unis.
EF : Quelle est votre formation initiale et quelle profession exercez-vous actuellement ?
CG : Après mes études d’art contemporain à la Sorbonne, j’ai travaillé dans des agences de publicité en tant qu’assistante de pub. Je montais les échelons patiemment pour devenir chef de pub lorsque j’ai rencontré mon future mari. Aux Etats-Unis j’ai recommencé à zéro : apprentissage de la langue, assistante d’assistante dans une société de marketing à San Francisco, puis chef de production dans une petite société de marketing à Los Angeles.
EF : Comment et pourquoi avez-vous été amenée à repenser votre projet professionnel ?
CG : Tout du long j’écrivais un journal, d’abord en français et puis j’ai commencé à me forcer à l’écrire en anglais pour m’habituer à la langue. Et je m’essayais à la fiction. J’admirais les romanciers parce que la lecture est une vraie passion. A l’époque, la rédaction d’un roman me semblait un but absolument fabuleux mais hors d’atteinte. A la naissance de mon deuxième enfant j’ai consacré de plus en plus de temps à l’écriture, et j’ai pris des cours de fiction à UCLA. C’est là que l’idée d’écrire un roman a germé peu à peu, comme un challenge intellectuel.
EF : Vous venez de publier votre premier roman en anglais Hidden in Paris. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ?
CG : Hidden in Paris est la rencontre houleuse de trois femmes américaines qui décident de partir à Paris dans l’espoir de recommencer leur vie. Elles emménagent ensemble dans un hôtel particulier mais très rapidement cette nouvelle vie en communauté, la rencontre d’hommes Français et la vie parisienne révèlent et exacerbent leurs problèmes. Hidden in Paris est un roman léger et souvent amusant ou l’amour, l’amitié et les névroses se nouent et se dénouent tour à tour.
Hidden in Paris de Corine Gantz
EF : Pourquoi avez-vous souhaité écrire ce roman ? Comment en avez-vous eu l’idée ?CG : L’idée est venue après avoir lu plusieurs romans immondes en anglais. Je me suis mise en tête que ça ne devait pas être si difficile que ça d’écrire un livre (faux !) Et si j’en jugeais des livres que je venais de subir, être publiée serait facile. (Vraiment faux !)L’histoire du roman s’est un peu écrite d’elle même. J’ai eu le sentiment de suivre les personnages sans plans précis, et de laisser l’histoire évoluer. Un de mes personnages était Paris. Un autre était cette maison. Les autres personnages étaient humains et même peut être trop humains. Cette technique qui n’en est pas une n’est pas celle que je recommande. Maintenant je travaille de façon très systématique avec un plan de chapitres. Mais je laisse la fin ouverte jusqu’au bout, pour la même raison que je refuse de voir une voyante. Si je connais la fin, ou est le plaisir de la découverte ?
EF : Vous l’avez écrit en anglais. Pourquoi avez-vous fait ce choix qui me semble plus difficile au premier abord ?
CG : Je suis bien trop intimidée par la littérature française pour essayer d’en faire partie. La littérature américaine me paraissait plus accessible, la langue anglaise plus directe. Bien sûr, je fais des erreurs de grammaire et d’orthographe dans les deux langues mais au moins en anglais j’ai une bonne excuse !
EF: Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans votre vie d’expatriée ? Pourquoi ?
CG : J’adore ma vie américaine. J’aime les Américains, leur côté bienveillant, leur manque de jugement. Je pense que les Français sont plus subtils, plus amusants et plus intellectuels dans les conversations. Ils sont aussi plus polémiques. Les Américains préfèrent trouver les points communs dans une conversation, alors que les Français sont intéressés par les différences. Oh, et puis je suis amoureuse du soleil californien dont je ne me lasserais jamais. J’apprécie énormément la qualité de choix en matière d’habillement par exemple ou de comportement. Ici on ne se sent pas jugé. « Chacun fait c’qui lui plaît » comme dit la chanson. Le résultat est un grand sens de liberté de la possibilité de vivre sa vie exactement comme on l’entend.
EF : Que conseillerez-vous à d’autres femmes qui s’apprêtent à tout quitter pour suivre leur conjoint à l’étranger pour la première fois ?
CG : Je pense qu’il faut s’investir immédiatement dans cette nouvelle vie, c’est-à-dire ne pas la considérer temporaire ou transitoire, ce qui serait l’équivalent de commencer une histoire d’amour en sachant dès le départ qu’il ne faudra pas s’attacher. Le risaue serait de ne pas forger une vraie intimité: L’échec est alors presque assuré.
EF : Un commentaire à ajouter pour terminer cet entretien ?
CG : Merci Véronique pour cette interview sur ton blog que je trouve passionnant. Les ‘expats’ ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent recevoir. L’expatriation c’est comme une petite mort, mais elle peut être suivie par une renaissance mille fois plus riche. En tout cas, ça a été mon expérience.
EF : Merci Corine.
Pour en savoir plus sur Corine, consultez son blog Hidden in France ou bien son site web.Vous pouvez vous procurer son roman sur Amazon ou sur son site où vous pourrez lire un chapitre du livre si vous le souhaitez. Bonne lecture !Partageons nos expériences pour mieux vivre notre expatriation.