Le Patrimoine, s’il est découvert, recensé, classé et étudié, nécessite pour sa survie la reconnaissance des institutions, sans lesquelles il ne pourra être protégé et porté à la connaissance du public. Cette dernière mission est assurée par le biais de lieux spécifiquement dédiés, les musées. Parmi eux, le Musée du quai Branly a pour dessein d’exposer et de préserver les « Arts premiers », c’est-à-dire les Arts non-européens.
Revenons tout d'abord à la genèse de ce grand bâtiment. Au courant des années 60, les pouvoirs politiques prennent conscience que Paris a perdu son statut de capitale artistique du monde, les artistes l’ayant délaissée au profit de New York. C’est dans une optique de modernisation de son image que le président Pompidou décide d’y implanter, en 1969, un centre d’Art contemporain. A l’issue d’un vaste concours, ce sont les jeunes architectes Renzo Piano et Richard Rogers qui sont désignés pour en être les maîtres d’œuvre. Doté d’une « Piazza » inclinée et accueillante, en relation directe avec le quartier historique des Halles, et construit grâce à l’ingénieux système poteaux-poutres, le centre Pompidou accueille un large public. Son immense succès encourage, au cours des mandats présidentiels successifs, la création dans le même esprit d’autres centres culturels tels que l’Institut du Monde Arabe, l’Opéra Bastille, le Grand Louvre ou la Bibliothèque de France.
Finalement, en 1995, c’est au tour de Jacques Chirac de s’engager dans cette dynamique culturelle. Cette même année, le chef de l’Etat accorde son soutien financier, et aussi personnel, à Jacques Kerchache (1949-2001), spécialiste des cultures non-occidentales, auteur du manifeste Les chefs-d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux et qui, à l’instar d’André Breton, André Malraux et Claude Lévi-Strauss, désirait créer un musée dédié à ces arts. Divers bâtiments préexistants sont envisagés pour l’accueillir (parmi lesquels le Pavillon des Sessions du Louvre), mais finalement, la décision de construire un tout nouveau bâtiment est prise. Un concours international d’architecture est alors organisé : parmi les quelques 110 dossiers déposés, les 18 membres du Jury sélectionnent 15 projets, avant de désigner le lauréat de cette entreprise. Il s’agit de Jean Nouvel, un grand nom dans le monde de l’architecture. Les travaux démarrent en 2001 ; leuraboutissement, c’est-à-dire l’ouverture du Musée, a eu lieu le 23 Novembre 2006. Le Musée du quai Branly respecte donc la notion de Patrimoine puisqu’il a été crée à l’instigation de pouvoirs politiques, et est donc reconnu par ses protagonistes. De plus, sa réalisation est signée par un véritable virtuose de l’architecture, ce qui lui confère une rareté et une valeur artistique certaine.
L’équipe qui a entrepris le tour de force que représentait la construction, en tous points polysémique, de ce Musée, était donc composée de Jean Nouvel, bâtisseur de l’Institut du Monde Arabe et de la Fondation Quartier, du paysagiste Gilles Clément, et du botaniste et spécialiste des murs végétaux Patrick Blanc. Le bâtiment ainsi créé s’inscrit avant tout comme une réalisation fonctionnelle, pratique au quotidien : en effet, les quartiers dédiés aux différentes fonctions du musée sont reliés entre eux par des passerelles. Un vaste plateau dans la partie exposition permet par ailleurs d’offrir en cas de besoin un grand espace, modulable à souhait.
Il s’agit également d’une architecture adaptée au monde environnant, et respectant la déontologie inhérente à la vocation de musée. En effet, avant le début des travaux, des fouilles archéologiques avaient eu lieu pour éviter la destruction d’un possible site antique. Le résultat final est aussi en adéquation avec la mission allouée, qui est de présenter les œuvres dans un milieu privilégié. L’intégration dans le site des quais est parfaite : la courbe du Musée suit traits pour traits celle de la Seine. L’édifice est de plus, par le biais de l’utilisation du métal, un écho à la tour Eiffel toute proche. Il est en outre un immeuble particulièrement léger grâce au système poteaux-poutres, et est donc adapté à un sol constitué d’alluvions. Des cubes de couleurs chaudes en porte à faux sont greffés sur son enveloppe, et apportent une touche de gaieté et de modernité à l’ensemble. Enfin, une paroi en verre englobe le musée, le reliant et le séparant à la fois du monde extérieur. Véritable bulle protectrice et support de promotion des collections, elle crée un « pont » entre le Paris haussmannien et le bâtiment moderne. La rupture avec la vieille ville est aussi faite de manière progressive grâce au jardin alentour, libre d’accès, et qui présente un aspect sauvage. Sa conception semble aléatoire et déstructurée. Il est par ailleurs composé d’une multitude de plantes de provenances variées. Ses concepteurs étant également préoccupés par le contexte écologique, fait caractéristique des temps actuels, un mur végétal a été intégré à l’édifice, assurant les échanges gazeux et thermiques. Il accueille quelques 15000 plantes placées dans du feutre, lui-même fixé à un treillis. L’ensemble du bâtiment est donc un renvoi à la philosophie globale du Musée : présenter en son sein la diversité ethnographique, culturelle et géographique du monde, être une authentique terre d’accueil pour les plantes, les œuvres et les hommes, tout en demeurant le catalyseur des préoccupations du monde contemporain.
Les collections du Musée sont de plus à portée universelle. Le quai Branly a tout d’abord une véritable vocation anthropologique. A travers des objets exposés, il rend en effet compte des rites, des croyances et des coutumes de peuples dispersés sur tout le globe. Les objets sculptés et manufacturés qu’il présente sont, du fait de leur beauté, leur rareté ou leur singularité, un héritage patrimonial pour l’Humanité toute entière. La diffusion dans l’Espace et dans le Temps est un facteur primordial du Musée, puisque celui-ci évoque non seulement les événements passés, mais également les états d’âme des peuples d’Asie, d’Afrique, d’Océanie, d’Amérique du Sud, et expose avec pudeur leur mode de vie actuel, leurs religions, leur cadre quotidien. Constitué d’un seul et unique plateau, il est l’auteur d’un métissage culturel et esthétique, rendant compte des diverses inspirations qu’ont puisées les peuples entre eux, à l’instar des masques africains stimulant le cubisme, ou la représentation d’attributs européens sur certains objets exotiques, et ce sans aucun mur, barrière ni entrave à la circulation du spectateur.
Finalement, le Musée d’Arts et de Civilisations est une ode à la tolérance, à l’évasion des sens et au respect entre les peuples. Chargé d’une dimension philosophique dépassant la simple ambition esthétique, il s’inscrit dans une veine totalement nouvelle. Véritable pont entre les époques et les espaces, ce bateau exotique amarré sur les quais de Seine est porteur d’un bagage culturel mais aussi humain, et devient par son originalité lui-même un objet d’art. De simple contenant patrimonial, le Musée du Quai Branly est ainsi devenu lui-même un élément du Patrimoine.