Peter Jacob Horemans (Anvers, 1700-Munich, 1776),
Nature morte à l’homme distingué, 1765.
Huile sur toile, 38 x 50,1 cm, Bayreuth, Staatsgalerie im Neuen Schloss.
Les puissants ont parfois des lubies singulières. On sait que Louis XIII composait des chansons et que Frédéric le Grand jouait de la flûte, mais il est peut-être moins connu que Nikolaus Esterhazy, parfois surnommé Le Magnifique (1714-1790), s’était entiché d’un étrange instrument qui ne lui survécut pas beaucoup, puisqu’il disparut au début du XIXe siècle : le baryton. Parmi les plus de 170 œuvres répertoriées dans le catalogue établi par Anthony Hoboken que le maître de chapelle du prince produisit, trois remarquables musiciens, Guido Balestracci, Alessandro Tampieri et Bruno Cocset ont choisi sept trios pour nous offrir un disque généreux, publié par Ricercar sous le titre Divertimenti per il pariton a tre.
Depuis 1761, Nikolaus avait donc à son service un musicien dont le renom ne cessait de croître, et, en sa qualité de patron,
il ne manqua pas d’exiger du dénommé Joseph Haydn (1732-1809) des œuvres expressément destinées à son cher baryton. Il faut dire un mot de cet instrument aux origines et au nom incertains
(pariton, paridon, viola di bordone) : il appartient à la famille des violes de gambe (le prince lui-même le nomme gamba), mais il possède deux types de
cordes, les unes en boyau, frottées avec l’archet, les autres en métal, résonnant par sympathie avec les premières mais pouvant également, car apparentes derrière le manche, être pincées par le
pouce et permettre ainsi un jeu luthé. On ne peut pas dire que l’ordre ait été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par le compositeur, puisque son employeur se plaignit rapidement de son peu
de diligence à composer « de ces pièces que l’on peut jouer sur la gamba, pièces dont jusqu’ici nous n’avons vu qu’un tout petit nombre. » (Regulatio, novembre
1765).
Au-delà de leur caractère d’œuvres de commande destinées à satisfaire un employeur exigeant dont les capacités techniques étaient sans doute meilleures qu’on le prétend souvent, les trios avec baryton de Haydn apparaissent comme un laboratoire d’idées où le compositeur teste des formules compositionnelles qui vont lui servir pour des projets plus ambitieux, comme, entre autres, ses quatuors. Ainsi, le rôle actif de la basse dans l’élaboration du travail thématique, la vocation contrastante du trio par rapport au menuet, les possibilités offertes par le thème varié, considéré non comme une simple accumulation de variations mais comme un tout cohérent, s’y développent peu à peu, tandis que la densité émotionnelle des pièces s’approfondit elle aussi à mesure, passant d’un style « galant » aussi parfaitement caractéristique de son époque que plein d’agrément (Hob.XI.42 en ré majeur, 1767) à une expression intimiste touchante (Hob.XI.113 en ré majeur, avant 1778), voire franchement pathétique (Hob.XI.96 en si mineur d’esthétique Sturm und Drang, c.1771-1772). Comme très souvent chez lui, Haydn, en laissant libre cours à sa maîtrise d’écriture mais aussi à son humour et à son goût pour les tournures populaires, permet à ses trios pour baryton de dépasser leur statut de partitions de circonstance pour atteindre celui de petits joyaux chambristes (chacun dure, sauf exception, moins d’un quart d’heure) ; le compositeur devait en être satisfait, puisqu’il se soucia d’en assurer une plus large diffusion, en arrangeant lui-même ou en autorisant des transcriptions de certaines des pièces pour la formation plus classique violon, alto et violoncelle (six ont fait l’objet d’un excellent enregistrement de Rincontro chez Alpha).
L’interprétation des Divertimenti per il pariton a tre que nous proposent Guido Balestracci au baryton, Alessandro
Tampieri à l’alto et Bruno Cocset au violoncelle (en photographie ci-dessous) est absolument remarquable. Bien entendu, de ces trois noms bien connus des amateurs de musique baroque officiant
respectivement au sein, entre autres, des ensembles L’Amoroso, L’Arpeggiata et Les Basses Réunies, on attendait le meilleur, mais ce que l’on entend tout au long de cette presque heure et quart
de musique est d’un bonheur si constant que l’on ne peut qu’en ressentir une vraie jubilation. Saluons tout d’abord les qualités individuelles de chacun des musiciens, tous d’une indiscutable
maîtrise technique, avec une mention particulière pour la formidable virtuosité de Guido Balestracci qui sait tirer le meilleur de son baryton, dont on imagine sans mal les trésors de dextérité
que sa pratique requiert. Si cet instrument occupe naturellement le devant de la scène dans des pièces conçues pour le faire briller, le dialogue qui se tisse entre lui, l’alto charnu et
vigoureux d’Alessandro Tampieri et le violoncelle plein de fougue et de poésie de Bruno Cocset est merveilleux de naturel, d’enthousiasme, de complicité et de plénitude.
Guido Balestracci, baryton (Pierre Bohr, 2008, d’après Simon Schödler, Passau,
1785)
Alessandro Tampieri, alto (Richard Duke, Londres, 1768)
Bruno Cocset, violoncelle (Charles Riché, 2009, d’après Gasparo Da Salò)
1 CD [durée totale : 73’18”] Ricercar RIC 315. Incontournable Passée des arts. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Trio en si mineur, Hob.XI.96 :
[I] Largo
2. Trio en la majeur, Hob.XI.66 :
[II] Allegro di molto
3. Trio en ré majeur, Hob.XI.42 :
[III] Menuet
Illustrations complémentaires :
Artiste anonyme, Portrait de Nikolaus Esterhazy, sans date.
Photographie des artistes utilisée avec l’aimable autorisation de Ricercar.