Lucky in Love, tome 1 (Chieffet & DeStefano)

Par Mo

Chieffet - DeStefano © Ca et là - 2011

C’est un vieux monsieur qui nous accueille dans ce diptyque. Un vieux monsieur qui, comme beaucoup de vieux monsieurs, passe la majeure partie de ses journées plongé dans les souvenirs de sa jeunesse. N’importe quel événement est prétexte à ces envolées nostalgiques : une sieste, une affiche, une scène de la vie courante entre deux passants… ce petit vieux, c’est Lucky, ancien mécano dans l’Armée de l’air.

Nous remontons en 1942, dans la communauté italienne d’Hoboken (New Jersey). Adolescents, Lucky et son pote Babe sont passionnés de westerns. Ils financent leurs séances de cinéma avec des petites magouilles en tout genre. Le reste du temps, ils retrouvent les autres copains de la bande qui, comme eux, fantasment sur leur première expérience sexuelle, les pin-up et leurs rêves d’avenir : marines, fantassins ou pilotes… la propagande militaire a fait son œuvre, elle rayonne (*). Puis vient l’année 1945. Babe est engagé dans les Marines et Lucky part pour une base militaire dans le Pacifique. Il voulait devenir pilote mais s’est fait recaler aux tests d’aptitude. Sa taille est peut-être en cause : 1.60 m, ce n’est pas bien grand !

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Un ouvrage à l’image de son personnage : petit mais avec de la consistance ! Compressées dans un format réduit (17 par 22 cm), ses 120 pages nous campent rapidement dans une ambiance d’époque, les visuels en noir & blanc s’étalent sur un papier épais beige-rosé, le tout relié sous une épaisse couverture cartonnée qui nous présente un enfant debout face au perron d’une maison, hésitant entre le bordel et le cinéma, ses deux mamelles du bonheur. J’avoue que le visuel de couverture m’a fait de l’œil quand je l’ai vu la première fois.

Le narrateur de cette histoire est Lucky, il raconte les passages importants de sa vie. Le scénario de George Chieffet se base donc sur cette mémoire des faits qui se découpe en trois temps : l’adolescence, la guerre et le retour au pays. Cela donne lieu à une découpe en trois chapitres, quatre si l’on rajoute la partie introductive du « vieux Lucky »… et un second tome dont on ne sait pas trop ce qu’il va nous raconter : une vie de travailleur ordinaire ? de père de famille ? Peu d’action dans cet album composé essentiellement d’anecdotes qui retrace la lente entrée de Lucky dans l’âge adulte. Pour compléter la voix-off, des dialogues des personnages qui n’ont rien de la romance. Un personnage en proie à ses fantasmes sexuels inassouvis, à son complexe d’infériorité (du à sa petite taille), à ses échecs et à sa première grande victoire sur lui qui arrive au moment même ou le premier tome se referme. Cela laisse donc présager un ton de narration différent pour la suite mais, ici encore, nous sommes face à notre ignorance. Pour en revenir aux dialogues, ils sont nombreux, assez dynamiques sans être verbeux. Le personnage est sympathique, il semble être honnête et fidèle à ses souvenirs. J’ai aimé la manière avec laquelle les auteurs abordent la question de la sexualité, celle du handicap, celle du racisme (latent et convenu) de cette époque. J’ai pourtant rencontré quelques freins durant ma lecture avec notamment une envolée onirique en milieu d’album dans laquelle j’ai eu du mal à me situer : changement de narrateur ? changement d’époque ? Comment allons-nous raccrocher les wagons avec le récit initiatique de Lucky ? J’ai également ressenti une lassitude en fin d’album : est-ce le fait d’être confrontée à un personnage qui n’attend rien de la vie ou celle de constater que je tourne en rond avec lui ?

Côté graphisme en revanche, j’ai apprécié d’un bout à l’autre. Stephen DeStefano s’amuse à dessiner cet univers de manière assez figée mais ses personnages, leurs proportions tronquées : de grosses têtes très expressives, voire caricaturales, sur des corps filiformes, bodybuildés ou ventripotents, c’est selon le caractère du protagonistes… Ce trait a ce petit côté Betty Boop qui campe bien l’atmosphère propre à « cette Amérique-là ». La veine graphique – très comics des années 40 – fait remonter tout un flot de souvenirs de lectures : des Pim Pam Poum d’Harold Knerr aux Popeye d’Elzie Crisler Segar… Les amateurs devraient apprécier. On y croise des gueules et des décors sympathiques qui renforcent l’ambiance en partie insufflée insufflé par la voix-off de Lucky.

Je remercie Babelio et les Éditions Ça et là.

Un sentiment de frustration en bouche à la fin de la lecture puisqu’il faut attendre la parution du tome deux pour découvrir la suite des aventures de Lucky. Si j’ai aimé le début de l’aventure, il m’est difficile d’avoir un avis tranché sur cette histoire qui, à mon sens, aurait mérité une publication en récit complet. Certains passages traînent un peu en longueur… mais j’attends la suite pour percevoir la portée de cette histoire qui repose entièrement sur les épaules d’un petit homme cependant fort sympathique.

J’ai aimé les éléments historiques sur lesquels reposent cette fiction et notamment l’image très fidèle longtemps véhiculées par les productions hollywoodiennes sur les États-Unis comme la cohabitation (plutôt franchouillarde ici) des communautés ethniques, l’importance de la famille et surtout, l’idée que tout peut encore être possible en terme de profil de carrière : pauvre un jour et riche le lendemain… il suffit juste d’être au bon endroit au bon moment.

(*) Dans les années 1940, avant l’avènement de la télévision, l’importance des films pour informer et divertir est à son apogée. Entre 1939 et 1945, les salles de cinéma sont le seul lieu où l’on peut voir la Deuxième Guerre mondiale en images : au début de chaque séance, on projette les actualités de guerre et de nombreux films incorporent des scènes réelles du combat contre les Nazis. L’influence idéologique et politique de ce média est indiscutable. Cependant, le cinéma est aussi une industrie qui répond à des enjeux économiques. (…) Les Américains se pressent dans les salles de cinéma pendant la durée de la guerre pour se tenir informés et se divertir. Les années 1940 correspondent à l’âge d’or d’Hollywood. (…) Les producteurs hollywoodiens et le gouvernement ont bien compris que les films ont un rôle fondamental à jouer aux Etats-Unis et dans le monde pendant la Deuxième Guerre mondiale. Entre 1941 et 1945, les liens entre Hollywood et Washington se resserrent incontestablement afin de canaliser le potentiel patriotique du cinéma. Produits par les studios sous l’influence des messages de propagande de l’administration Roosevelt, de plus en plus de films qui évoquent la situation sur les différents fronts commencent à sortir (…)leur point commun est d’utiliser l’Europe comme inspiration pour la nation américaine (accès au document source en cliquant sur le texte).

L’avis de Jérôme et celui de Mikaël Demets.

The Reading Comics Challenge

Lucky in Love

Tome 1 : Histoire d’un pauvre homme

Diptyque en cours

Éditeur : Ça et là

Dessinateur : Stephen DeSTEFANO

Scénariste : George CHIEFFET

Dépôt légal : mars 2011

Bulles bulles bulles…

Les premières planches sur Digibidi.

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Lucky in Love, tome 1 – Chieffet – DeStefano © Ça et Là – 2011