A regarder, en effet, les dessins préparatoires de Léonard, quand on voit comment le crayon progressivement, par essais successifs, est allé chercher la forme, comment il a fait amplement varier les possibles, a longtemps côtoyé la ligne pleine, puis s'est arrêté enfin sur cette forme juste, propre, définitive, comme si soudain elle s'imposait, et sur laquelle il ne sera plus question désormais de revenir, on comprend que les Grecs aient si tôt fait de ce triomphe de la forme la définition même de la beauté; et, plus encore, qu'ils aient vu, dans ce surgissement de la forme finale, forme idéale, l'accès à tout autre chose: soudain de l'absolu - comme s'il ne pouvait venir que d'ailleurs, préexistant à toutes ces tentatives - s'est incarné; et comme s'il tombait soudain pile sur lui, après tant d'assauts préparatoires, le crayon en a capturé l'épure dans son tracé. Cette rigueur qui soudain s'impose, combien elle rejette en arrière toutes les hésitations précédentes... Elle seule est enfin réelle. Sous cet à peine différent, d'un coup de crayon au suivant, au dernier, à l'ultime, un fossé s'est ouvert. Car cette forme à laquelle s'est arrêté Léonard n'est plus seulement satisfaisante par son aspect sensible, par cet optimum qu'elle réalise en termes de dimension, de proportion, de courbe ou d' allongement, mais, en atteignant ce qui tout à coup surgit comme une perfection indépassable, elle fait basculer dans un tout autre domaine, en effet. Il y a là un saut qualitatif qui fait sortir de l'indéfiniment perfectible et laisse paraître, rompant d'un trait avec les balbutiements précédents, le tranchant d'une vérité. Celle-ci éblouit, dira-t-on selon la métaphore commune, celle héritée des Grecs - mais à quel point s'agit-il bien d'une métaphore et peut-on l'éviter?