Il ne reste plus que quelques jours pour admirer la belle rétrospective d’Odilon Redon à Paris : "Odilon Redon (1840-1916), prince du rêve".
Deux heures dans un espace pas trop humainement dense ce vendredi 20 mai 2011. Cette fois-ci, je ne suis pas trop en retard, l’exposition dure encore un mois. C’est possible que
la densité augmente dans les derniers jours.
Odilon Redon
est un artiste très contrasté : il est connu pour ses couleurs joyeuses rayonnant la sérénité d’un beau paysage fleuri alors qu’il a commencé avec les lithographies noires qui ne manquent
pas de pessimisme.
L’exposition aux galeries nationales du Grand Palais à Paris qui finira le 20 juin 2011 propose ainsi au visiteur les deux faces de
l’artiste avec un net avantage à l’aspect lithographie, qui devait être à l’origine alimentaire, dans les deux cent cinquante-six œuvres exposées.
Odilon Redon est né le 20 avril 1840 et s’est éteint le 6 juillet 1916. Il est enterré à Bièvres où il peignit beaucoup de compositions
florales. Son fils Ari n’a pu arriver du front avant sa mort.
Parmi les thèmes récurrents d’Odilon Redon dans sa période lithographique, il y a les têtes coupées, les œils qui font montgolfières ou
fleurs, les Christ sans barbe (ce qui est très rare dans le représentation du Christ)…
Il y a ainsi beaucoup de compositions qui nécessitent énormément d’imagination, des rêves ou des cauchemars, avec une obsession de la mort, de squelettes…
"Christ" de 1877 est l’une des lithographies de Jésus sans barbe.
"Diable enlevant une tête" de 1876 peut laisser entendre l’idée que pourrait avoir Odilon Redon de l’enfer.
Le dessin "Femme nue au milieu des sphères" de 1875 fait tout de suite penser à une bande dessinée fantastique (plutôt américaine).
La mort est au rendez-vous dans ce lugubre tableau "Un masque sonne le glas funèbre" réalisé en 1882 tandis
que "L’œil-ballon" de 1878 donne une ouverture vers les cieux avec un petit arrière-goût d’œil de Caïn. Proche de l’œil, "L’œuf" de 1885, avec ses yeux perdus dans le coquetier, attend son
heure.
Le "Centaure visant les nues" de 1883 s’appuie sur un jeu de mot (les nues sont dans le ciel) pour faire apparaître les personnages
imaginaires des légendes et mythologies qui enivrent Odilon Redon.
L’artiste a illustré quelques ouvrages d’Edgar Poe qu’il adorait.
Dans son ouvrage "Les origines" (1883), l’auteur décrit ce noir dessein : « Et l’homme parut, interrogeant le sol d’où il sort et qui l’attire, il se fraya la voie vers les sombres clartés. ».
Il a également illustré Gustave Flaubert.
Dans ses lithographies, il y a aussi "Araignée souriante" de 1881 qui esquisse une image plaisante d’une bestiole peu populaire dans les
foyers, "Le Corbeau" (1882) aussi grand que l’ouverture de la fenêtre où il est niché, une très étrange "Tête laurée derrière une grille" (1882) dont les yeux ressemblent à ceux dessinés dans les
mangas, et puis, il y a cette
extraordinaire évocation des aïeuls avec "L’esprit des
bois (spectre d’arbre)" (1880) où l’on voit une sorte de squelette avec une tête de Poutine, le tout enraciné dans la litanie des ascendances.
Autre lithographie remarquable : "Têtard" (1883) qui ressemble plus à un gentil spermatozoïde à queue de cheval enroulée autour de la
tête.
Dans l’expo, on peut aussi admirer une matrice faite d’une plaque de cuivre représentant "Sciapode" (1892), une sorte d’animal préhistorique en forme de poisson à tête d’homme, appartenant
au Rijksmuseum à Amsterdam. Il est aussi présenté la lithographie correspondante, symétrique.
Et puis, soudain, les couleurs éclatent enfin. Jaillissent, je dirais, pour quitter définitivement la grisaille des rêves et marteler des
enchevêtrements originaux de couleurs la joie de la nature.
Dans une lettre à Maurice Fabre, Odilon Redon expliquait clairement son évolution en 1902 : « J’ai voulu faire un fusain comme autrefois : impossible, c’était une rupture avec le charbon. Au fond, nous ne nous survivons que grâce à des
matières nouvelles. J’ai épousé la couleur depuis, il m’est difficile de m’en passer. ».
Là, en effet, il était difficile de se passer de ses couleurs.
En 1898, une "Jeune fille
au bonnet bleu" (appartenant au Musée d’Orsay) accompagne la beauté d’un profil aux couleurs particulières dans leur mélange.
Assez connu, "Le Bouddha" (vers 1905), du Musée d’Orsay, introduit son lot de dégradé du ciel en bleu vert qui peut se retrouver aussi
dans son "Hommage à Gauguin" (1903-1904) montrant le buste d’une jeune femme en bleu vert tenant des fleurs rouges, probablement des coquelicots.
Moins connu car appartenant à une collection particulière (Courtesy Waring Hopkins and Gallery Hopkins Artist), ce "Buisson rouge"
(1903-1905) apportant sur un plateau son cortège de blanc et de rouge.
"La Coquille" (1912), visible au Musée d’Orsay, surtout dans sa version pastel (il est exposé aussi la version huile), transforme un
coquillage dans une tournure presque indécente.
"Isis" (1905-1910) ainsi que "La Naissance de Vénus" (vers 1912), appartenant au Petit Palais, sont deux magnifiques tableaux de sublimes divinités luxuriantes de
couleurs.
La grâce et la sérénité présentes dans "Le Silence" peint en 1910-1911 complètent le doute quasi-religieux dans le regard
introspectif.
Parmi les natures mortes, Odilon Redon a joué sur plusieurs styles : du figuratif comme cette huile "Anémone et coquelicots"
(1914-1915), à la fin de sa vie, ou du quasi-tachisme avec "Capucines ou Nasturtiums" (1905 ou 1912).
Odilon Redon est également un portraitiste à la physionomie très aiguisée. Au-delà de ses propres autoportraits, il a peint entre autres
un sévère "Portrait de madame
de Domecy" (1900) ou encore le voluptueux visage du pastel "Marie Botkine" (1906-1907) provenant d’un legs du fils de l’auteur au Louvre et qui se trouve désormais au Musée d’Orsay.
"Le Char d’Apollon" (vers 1910) montre quatre chevaux essoufflés en lutte contre le serpent de mer des ténèbres (visible au Musée d’Orsay)
tandis que "Le Cyclope" (vers 1914) renoue avec
les œils, mettant en scène un cyclope très attendri à la vue d’une belle créature (appartenant au Kröller-Müller Museum à Otterlo).
Bon, évidemment, il y en a tellement à citer que je pourrais en faire un fastidieux catalogue. On peut trouver sur Internet quelques reproductions de ces lithographies, pastels ou huiles avec
parfois une faible probabilité de succès pour les collections particulières qui sont à mon avis le vrai intérêt de cette exposition (beaucoup de tableaux peuvent être vus dans d’autres
circonstances, notamment au Louvre, Musée d’Orsay et Petit Palais, mais aussi à l’étranger).
C’est curieux que certaines toiles sont à date incertaine alors que le Grand Palais livre au visiteur certains cahiers de comptes où
Odilon Redon répertoriait précisément ses œuvres ainsi que leurs recettes.
Je termine en ajoutant qu’une salle est réservée à la partie décorative des œuvres d’Odilon Redon avec la reconstitution du château de
Domecy (dans l’Yonne) et ses belles compositions florales même si j’apprécie moins cette partie de l’expo qui présente également des tapisseries de fauteuils et une maquette de tapis.
En résumé, cette expo donne un aperçu éclatant d’un artiste qui a su manier plusieurs styles pour exprimer sa vision fantastique du monde,
ses rêves, ses joies, ses peurs et ses angoisses.
L’exposition "Odilon Redon (1840-1916), prince du rêve" est accessible jusqu’au lundi 20 juin 2011 au Grand Palais à Paris.
Horaires : 10h00 à 20h00 tous les jours et le vendredi jusqu’à 22h00.
Prix : 11 euros.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (17 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Quelques tableaux d’Odilon Redon (à voir ou à revoir).
Bibliographie sur Odilon Redon à télécharger.
Reproduction de tableaux d'Odilon Redon :
1. La Naissance de Vénus
(1912).
2. Esprit de la forêt (1880).
3. Marie Botkine (1906-1907).
4. Un masque sonne le glas funèbre
(1882).
5. Jeune fille au bonnet bleu (1898).
6. Le Cyclope (1914).
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/odilon-redon-la-couleur-qui-96108