Une crise de l’interventionnisme étatique
Tout marché immobilier local ou national peut être temporairement déséquilibré par des phénomènes extérieurs (guerre, catastrophe naturelle) ou des migrations importantes de population. L’important est donc de savoir comment offrir aux acteurs le meilleur cadre possible pour s’y ajuster et offrir la réponse la plus adaptée possible à la demande.
Force est de constater que les mesures étatistes accumulées depuis plusieurs décennies ont l’effet exactement inverse et nourrissent la crise du logement.
L’Institut Économique de Montréal résume ainsi la situation :
Si la crise se poursuit, c’est parce que les gouvernements n’ont toujours pas enclenché les réformes nécessaires pour permettre au marché privé du logement de répondre à la demande accrue des consommateurs.[1]
Développons plus en détail.
La règlementation par les permis de construire augmente très fortement le coût des biens immobiliers, en restreignant artificiellement les zones constructibles : aux États-Unis, cette pénalité a été estimée à 275 milliards $ en 2005 par Ed. Glaeser et J.Gyourko, de Harvard, ou Randall O’Toole, du Thoreau Institute[2]. En France, cela représente 45 milliards € en 2005, soit le tiers du prix moyen d’un logement.
En outre, cette règlementation tend à creuser les cycles du marché immobilier et à amplifier donc les crises du logement. L’économiste Edward Glaeser montre par exemple que la crise du logement américaine n’a touché que quelques endroits ciblés comme Boston ou San Francisco. Ce sont les gouvernements locaux qui sont fautifs, en ayant raréfié de façon artificielle les terrains à bâtir par le mécanisme des permis de construire. Boston et San Francisco, villes où le marché immobilier est très encadré et où la construction est limitée par des permis de construire ont vu des bulles gigantesques se constituer. A l’inverse, des États comme l’Arizona ou le Texas ont facilité l’obtention de permis de construire et ont su ainsi construire suffisamment de logements pour faire face à une demande en très forte croissance sans bulle spéculative.
Approfondissons cette analyse avec trois erreurs fréquentes, qui aggravent la crise.
Erreurs courantes
Le marché immobilier n’étant pas flexible, l’action de l’État est nécessaire
Pour les étatistes, le marché immobilier est un marché particulier qui nécessite une intervention de l’État en raison d’une offre et d’une demande qui ne peuvent s’ajuster rapidement. Les prix Nobel d’économie Milton Friedman et George Stigler ont montré que ce raisonnement était faux, l’offre et la demande étant justement flexibles dans un contexte de prix libres.
L’offre est partiellement flexible : division d’appartements en plus petite surface ou, à l’inverse, regroupement en de plus grandes surfaces, reconversions de bureaux en logement et vice-versa.
La demande est également flexible : la chèreté relative influe sur la surface que les individus recherchent, les décisions des jeunes adultes de quitter ou non le foyer familial, ou incite par exemple les couples à habiter ensemble plus précocement tandis que des pratiques telles que la colocation peuvent se développer.
Friedman et Stigler soulignent que, en raison du séisme de 1906 qui avait détruit la moitié des logements de San Francisco, les logements restants durent accueillir 40% de gens en plus sans qu’aucune pénurie de logements soit observable [3]. L’économiste libertarien Henry Hazlitt soulignait la même chose dans L’économie politique en une leçon :
Si les propriétaires ont le droit d’augmenter leurs loyers pour tenir compte de l’inflation monétaire et des véritables conditions de l’offre et de la demande, les locataires individuels chercheront à faire des économies en prenant moins de place. Ceci permettra à d’autres personnes de partager les logements dont l’offre est réduite. Le même nombre de logements abritera plus de monde, jusqu’à ce que la pénurie prenne fin. [4]
En outre, l’inadéquation qui existe parfois peut être surmontée par la mobilité de la population.
Le contrôle des loyers est au bénéfice des locataires
Selon la théorie étatiste, le contrôle des loyers est nécessaire pour « protéger » les locataires de loyers jugés excessifs. C’est une double erreur.
D’abord parce que les loyers ou prix des logements sont élevés en raison d’une demande supérieure à l’offre et le contrôle des loyers a un effet restrictif sur l’offre de logements : en effet, pourquoi un investisseur irait-il construire un nouveau logement s’il sait que le loyer qu’il pourra en retirer sera artificiellement plafonné à un niveau bas ? Au contraire, un niveau élevé des loyers ou des prix de l’immobilier donne une très forte incitation à construire, constructions qui feront baisser les prix dans le futur. Le contrôle des loyers est donc tout sauf efficace pour régler une crise du logement
Ensuite parce que le contrôle des loyers a des conséquences négatives également à court terme : puisque le parc immobilier est insuffisant et que la répartition des individus sur le parc ne peut se faire par le critère du prix, c’est le favoritisme ou le clientélisme qui règnent. Milton Friedman et George Stigler parlent de « rationnement par la chance et le favoritisme »[3]. A l’inverse, le rationnement par les prix incite à la modération et à une utilisation optimale du parc immobilier.
Les chiffres sont édifiants : Milton Friedman et George Stigler notaient ainsi en comparant le rationnement par le contrôle des loyers et le rationnement par un système de prix libres :
En 1906, après le tremblement de terre, quand les loyers étaient libres de monter, il y avait 1 « recherche de location » pour 10 « maisons ou appartements à louer » ; en 1946, [quand le contrôle des loyers régnait], il y avait 375 « recherches de location » pour 10 « offres de location » »[3].
Comme l’écrasante majorité des économistes, Henry Hazlitt va dans le même sens qu’eux, écrivant ainsi :
[A cause du contrôle des loyers], on ne construit pas de nouveaux logements, parce qu’il n’y a plus de bonnes raisons de les construire.
L’économiste péruvien Hernando de Soto applique cette même analyse au marché immobilier des pays en développement, soulignant qu’un marché immobilier libre est tout à l’avantage des locataires [5].
Il faut davantage protéger les locataires
On pourrait penser assez naturellement que l’État peut protéger les locataires davantage pour qu’ils ne soient pas les victimes de la crise du logement. Comme à propos du contrôle des loyers, il s’agit d’une bonne intention aux conséquences désastreuses. Étienne Wasmer, couronné comme meilleure jeune économiste de France, développe cette analyse à de nombreuses reprises; il souligne en particulier que la « protection » des locataires a atteint un tel niveau qu’elle ne protège que les mauvais payeurs et les propriétaires, au détriment des gens honnêtes à qui est demandé toujours plus de garanties. Il écrit ainsi [6]. :
Tout ceci n’est ni de gauche, ni de droite, juste le simple bon sens qui fait comprendre que le goût immodéré de notre pays pour les textes de lois abscons, léonins et semés d’embûches (l’expression « à peine de nullité » est celle qu’on y rencontre le plus souvent) rend la vie pénible à tous les gens de bonne foi, locataires comme propriétaires, et favorise paradoxalement procéduriers et grands propriétaires fonciers, dans une situation en passe de devenir explosive.
Illustrons avec un exemple français : la loi Quillot en 1982 instaure à nouveau un contrôle des loyers partiels et rend plus difficile l’expulsion des locataires qui refusent de payer leur loyer. Effet immédiat : chute brutale des constructions de logement, au détriment des plus pauvres auxquels les propriétaires demandent des garanties qu’ils ne peuvent avoir pour se protéger des mauvais payeurs contre lesquels ils seront démunis car la loi les protège. En 1981, il y avait 125.000 mises en chantier par le secteur libre. Après cette loi, on tombe à 71.000 en 1982 et 32.000 en 1985 [7].
Une étude internationale récente réalisée à Harvard indique que la France est un des pays de l’OCDE où le recouvrement d’un logement et l’expulsion d’un locataire est le plus long: en moyenne, 226 jours, dont 75 jours pour obtenir un procès et 135 jours pour l’application de l’acte de justice [6]. Autre exemple de cette surprotection des locataires, aux Pays-Bas, les propriétaires sont obligés de payer des « antisquatteurs » afin d’éviter que leur bien soit squatté car la justice ne fera pas respecter leur droit de propriété et laissera les squatteurs dans les lieux [8]. Autant de surcouts qui sont répercutés sur les loyers de tous.
Comment vraiment lutter contre la crise du logement
Les libéraux tirent les conséquences logiques de ces analyses largement partagées : les mesures les plus à même d’améliorer le sort des plus faibles passe donc par une simplification radicale du droit de l’immobilier et une restauration de la liberté contractuelle.