Par Stéphane Geyres
C’est de saison, comme chaque année courant juin, il y a Roland Garros, les 24h du Mans et les élèves de Terminales planchent sur les sujets du Bac.
Cette année, la liberté est à l’honneur puisque la section ES s’est vue poser la question suivante, ô combien d’actualité : La liberté est-elle menacée par l’égalité ?
Comme j’ai la chance d’avoir passé le bac il y a longtemps, j’affirmerai ma liberté en ne suivant pas les consignes classiques de la dissertation qui veulent qu’on commence par définir liberté et égalité ; on est libre ou on ne l’est pas, non mais. Pour la liberté, j’ai déjà donné, par exemple dans cet article et je me contenterai de rappeler le classique « la liberté s’arrête là où commence celle d’autrui.» Et toc !
Par contre, ce qui semble plus intéressant à analyser, c’est l’égalité et son impact sur la liberté, ce qui est indéniablement une question de société majeure, à l’heure où la moutonnisation des peuples par les régimes démon-cratiques bât son plein.
L’égalité, ou son miroir l’inégalité, est multiforme. Il y a l’inégalité physique, en beauté ou laideur, en compétences, en âge et en culture, en condition et environnement, en morale et moralité et bien sûr, tout le monde l’a sur les lèvres, l’inégalité en richesse. Par contre, il y a l’égalité devant le droit et celle-ci ne souffre guère la variété : si certains sont plus égaux que d’autres devant le droit, c’est que le législateur, lui, était gauche.
Par construction, cette égalité là – devant le droit – est tout sauf une menace pour la liberté, laquelle se nourrit justement du fait que chacun ait le droit de faire ce que bon lui semble – ou presque. Le droit a justement comme fonction sociale de régler, poser les règles, qui permettent de gérer ce délicat équilibre entre votre liberté et la mienne. Plus le droit est égalitaire, plus les règles sont uniformes et moins il y a d’arbitraire social et d’injustice. La particularisation du droit est confiée au rôle social que jouent les droits de propriété, mais cela nous éloigne du sujet.
Hélas, peu de sociétés de nos jours possèdent un droit aussi pur et qui assure un tel égalitarisme. Bien au contraire, l’accélération constante de la production législative rend le droit – et ceci dans pratiquement toutes les démocraties – rugueux, poreux, élastique et abscons au point que la problématique que doivent affronter les sociétés occidentales serait plutôt celle d’une liberté menacée par l’accroissement de l’inégalité juridique. Donc, réponse « non.»
Mais notre sujet semble moins trivial pour ce qui concerne l’autre face de l’égalité, celle qui se confronte à l’inégalité humaine. Car ce n’est pas tant que nous soyons inégaux, il serait plus juste de dire que nous sommes tous différents. Mais cette omni-différence, est-elle une chance, ou donc une menace ? Imaginons une seconde que nous soyons uniformes, tous dotés des mêmes compétences en particulier. Qui alors saurait faire le pain pour les autres ? Toi, moi, nous tous ? Ou faudrait-il que nous nous fassions chacun notre pain quotidien ? Pourquoi serait-ce à lui ou vous ou moi de devenir boulanger, forgeron ou vétérinaire ?
On comprend vite que sans différence entre nous, un des socle de l’organisation sociale, la division du travail, serait vaine, nulle et non avenue. Et sans division du travail, aucune innovation ne serait possible, puisque nous aurions tous les mêmes capacités et les mêmes besoins. La liberté économique perdrait tout sens. La liberté sans liberté économique en a-t-elle un ?
L’uniformité physique serait amusante aussi. Le mariage surtout. Ou comment choisir son époux ou épouse ? Par tirage au sort ? Par assignation ante-natale ? Au-delà de la boutade, on voit là pointer son nez la question de l’arbitraire social et de la tyrannie. Qui dans une société uniformisée choisirait pour les multitudes de numéros que nous y serions ? Heureusement que 1984 est derrière nous…
A ces deux exemples, on comprend que la richesse de la nature humaine et de la société tient en grande partie à l’existence d’une multitude de différences de tous ordres en les hommes. Les inégalités qui nous caractérisent n’ont donc rien de négatif en elles-mêmes, bien au contraire, vivre en liberté suppose l’exploitation même de ces inégalités. L’égalité est donc bien une menace à la liberté, dans ce cas. Et de nos jours, cette menace s’accroît constamment. Les états cherchent à nous mettre dans des cases, à nous uniformiser, à unifier la pensée, à nous rapprocher constamment du votant médian – celui qui n’existe pas.
Mais bien sûr, on objectera que la maladie ou le handicap sont de bien vilaines inégalités. Ou encore que les pauvres nés dans les bidonvilles ne sont en rien différents, mais que ce sont leurs conditions de vie qui le sont. Certes, il y a là des « injustices » peu discutables de la vie. Pourquoi être né ici ou ailleurs, voilà une question à adresser directement au Vatican – qui n’est pas spécialement un bidonville soit dit en passant. Mais cela ne relève pas de la liberté – tout au plus de l’opportunité. La liberté, ce n’est pas de pouvoir décider de ce qu’on est, ou aurait voulu être. C’est d’avoir le droit de tenter de le devenir.
En conclusion, il semble bien qu’il faille répondre « oui » à la question. Non pas parce que égalité et liberté seraient irréversiblement incompatibles, mais parce notre société démagogique érode et menace chaque jour l’égalité en droit qui fait notre liberté et nos inégalités qui font de nous des hommes.