Nicolas Sarkozy pensait capitaliser sur son agenda international pour consolider sa stature et sa candidature. Il avait prévu le service minimum, une incantation par ci, un conseil par là. Son G8 de Deauville fut un exemple immense de show médiatique coûteux et sans décision. Or voici que l'actualité étrangère, une fois de plus, s'impose à lui : une nouvelle crise financière en Grèce, un enlisement militaire en Libye.
Il fallait réagir.
Ou pas.
Sarkozy, ailleurs
Sarkozy avait la tête ailleurs. D'abord, il dépense une énergie inhabituelle à travailler sa candidature. Il cogite sur la candidature d'Aubry, qu'il juge certaine. Son agenda est allégé, ses rendez-vous politiques officieux se multiplient. Il ne conserve qu'une manifestation publique par jour dans son planning présidentiel. Comprenez-le, il fait la guerre à Borloo. Mercredi puis jeudi, c'était Rama Yade qu'il fallait engueuler.
Ensuite, il pensait que « sa » présidence française des G8 et G20 cette année serait une opération tranquille pour remuscler sa posture, avant le grand scrutin de 2012. Non pas que l'actualité soit particulièrement calme : tensions sur les marchés financiers et l'énergie, spéculation sur les matières premières, chantage terroriste, guerre en Afghanistan, et déséquilibres économiques mondiaux étaient autant de menaces et de difficultés bien présentes que ces grands forums de pays riches allaient bien devoir affronter.
Mais dès le début de « sa » présidence des G8 et G20, en novembre dernier, Nicolas Sarkozy s'était volontairement placé sous des ambitions très modestes. En Sarkofrance, « qui ne tente rien... ne risque rien ». Après le fiasco diplomatique français du printemps arabe, le Monarque s'était refait une virginité avec une guerre en Libye. Pour le reste, il continuait de pérorer sur les graves déséquilibres du monde et le besoin de régulation. C'était bon pour l'image, et largement suffisant pour se présidentialiser aux yeux d'une opinion française davantage préoccupée par le chômage et la précarité. Jeudi, il avait prévu de pérorer devant un parterre d'agriculteurs européens, pour défendre un « nouveau modèle agricole ». Le discours était prêt, il fut d'ailleurs rapidement mis en ligne sur le site de l'Elysée.
Après les incantations en faveur d'une régulation des marchés de matières premières (mardi), sur le thème du la-spéculation-c'est-mal, il pouvait s'exclamer : « Votre activité est la condition même de notre survie sur la planète » ou, mieux : « La fin des paysans, c'est une fable, une fable que l'on nous conte depuis des décennies » De quels paysans parle-t-il ? « Certains peuples font dès aujourd'hui la dramatique expérience de la disette et du manque cruel de ressources agricoles. Un milliard de personnes connaissent la faim dans le monde et on parle de la disparition des paysans ». La France, version Sarkozy, se résume souvent à des centrales nucléaires et de champs de maïs.
Seulement voilà, l'actualité était ailleurs. Les tensions internationales sont à nouveau telles qu'il fallait changer de registre : il n'y a plus de place pour le dilettantisme.
Libye, et après ?
La situation libyenne, on le sait depuis des semaines, s'est enlisée. L'un des fils Kadhafi, Saïf Al-Islam Kadhafi, a proposé jeudi 16 juin l'organisation d'élections en Lybie, « dans les trois mois. Au maximum d'ici la fin de l'année. Et la garantie de leur transparence pourrait être la présence d'observateurs internationaux ». La proposition est habile. Elle risque d'accroître la division du camp onusien. Russie et Chine semblent regretter de n'avoir pas exercé leur droit de veto au Conseil de Sécurité le 17 mars dernier, quand la résolution 1973, qui autorisa l'intervention militaire actuelle, fut présentée.
Cette proposition est aussi une posture de survie. Pour la première fois depuis longtemps, les forces rebelles sont parvenues cette semaine à faire bouger la ligne de front, en prenant le contrôle de trois localités sur la route de Tripoli.
Comme souvent, le clan Kadhafi s'exprime de façon incohérente. Dans cette interview, Saïf Al-Islam Kadhafi reconnaît des négociations avec la France (« On a déjà eu des contacts avec Paris, pour l'instant sans suite. Ce sont eux [les Français] qui impulsent la politique du gouvernement de Benghazi (...). Donc c'est à eux que revient le devoir de chercher une sortie qui soit la moins sanglante possible », mais dénonce en même temps Nicolas Sarkozy avec une violence rare : «Je ne doute pas un seul instant que l'écrasante majorité des Libyens soutient mon père et considère les rebelles comme des islamistes fanatiques et fondamentalistes, des terroristes soutenus par des étrangers, des mercenaires à la solde de Sarkozy ».
Grèce, et après ?
Loin d'être sortie d'affaires, la Grèce risque de sombrer à nouveau. Un conseiller spécial du FMI expliquait jeudi matin qu'il était « très préoccupé par la situation qui a changé radicalement ces dernières 24 heures ». Le pays a besoin de 12 milliards d'euros sous peu pour honorer ses remboursements de créances d'ici septembre.
A Athènes, d'immenses manifestations ont forcé le premier ministre grec, le socialiste Georges Papandreou, à remanier son gouvernement pour faire voter son plan de rigueur, après l'hostilité d'une fraction de son propre camp. Et la droite ne veut pas d'union nationale... Du coup, les « investisseurs » prennent peur. ça panique... ou ça spécule. Et la situation s'aggrave. Les bourses dévissent sur un air de « déjà vu ».
Le versement d'une nouvelle tranche des 110 milliards promis à la Grèce l'an dernier fait débat. Sans plan de rigueur (refusé au Parlement sous la pression des manifestations), pas de prêts. Voici la « solidarité européenne » à l'oeuvre !
Pour rassurer dans la panique, un commissaire européen a promis, jeudi, que les 12 milliards nécessaires seraient débloquées dimanche, quand les ministres de l'Eurogroupe se retrouveront. Mais pour aller plus loin, et envisager un nouveau plan d'environ 100 milliards pour couvrir les besoins du pays jusqu'en 2014, les dirigeants de la zone euro restent divisés. Angela Merkel veut associer davantage les banques. La France et le Royaume Uni veulent au contraire limiter
Jeudi, Nicolas Sarkozy parlait agriculture, devant des organisations professionnelles européennes, au siège de l'OCDE. Il fut contraint au commentaire de la crise grecque. Il fit dans le conseil facile (« il faut sortir des querelles nationales pour retrouver le sens de notre destin commun »), l'incantation euro-phile (« Il faut défendre notre monnaie unique, il faut défendre les institutions européennes. ») et l'appel au « compromis » .
Ce vendredi, il rencontre Merkel.
Mercredi, l'agence Moody's projetait d'abaisser la note de trois banques françaises (BNP Paribas, Société Générale et Crédit agricole) à cause de leur exposition à la dette tant publique que privée du pays. Sarkozy laissa son jeune Wauquiez tenter de rassurer : « Les banques françaises ont des expositions qui sont en Grèce, liées à l'économie grecque, elles sont parfaitement publiques, donc il n'y a absolument rien qui est caché et par ailleurs le secteur bancaire français est moins exposé par exemple que le secteur bancaire allemand. Je crois que sur tous ces sujets, il faut du calme, de la sérénité. »
La ministre des finances, Christine Lagarde, termine son road-show électoral. Depuis bientôt trois semaines, elle sillonne le globe pour convaincre quelques Etats clés de la soutenir pour prendre la direction générale du FMI en remplacement de Dominique Strauss-Kahn. Ces voyages en grand nombre ont coûté 150.000 euros, croit savoir le Canard Enchaîné. Et faudra ajouter les frais de bouches et d'hébergement sur place. Le blog Big Browser (du Monde) complète : la campagne de DSK, en 2007, n'avait coûté que 48.000 euros.
Ami sarkozyste, où es-tu ?