Lu sur le très bon et trop méconnu blog de Fred Delorca, un billet consacré à Jorge Semprun et à l'épisode de Claude Lanzmann en Corée du Nord.
J'y ai trouvé cette sainte colère, adressée à Semprun post mortem, lequel avait estimé qu'en 2005 c'était très snob de voter non. Je ne résiste pas à recopier ici cette envolée, tant j'aurais aimé l'écrire :
"il y avait une forme de snobbisme à se dire pour le 'non' au référendum sur la Constitution européenne en 2005". Vous avez bien lu : voilà ce que ce monsieur osait déclarer avant sa mort pour justifier le livre européiste qu'il avait commis avec Dominique de Villepin appelant à voter "oui".
Alors là, les p'tits gars, désolé. Le respect pour les morts autant que vous voulez. Mais trop c'est trop. Je ne fais pas dans la diplomatie, la dentelle. Amiscus Plato sed magis amiscus veritas. La vérité d'abord. Et, désolé les bien pensants bourgeois, mais l'amnésie n'est pas mon fort.
Alors les mecs, quand vous nous crachez à la gueule que nous autres les nonistes nous étions des "snobinards", mon sang ne fait qu'un tour. Pauvres types ! C'était vous, les ouiouistes (comme vous nommait PLPL) qui nous écrasiez de votre mépris à longueur de journée, parce que nous étions trop "peuple", trop cons pour comprendre votre traité minable de 10 000 pages, trop fachos, trop marxos, trop provinciaux, trop avinés, trop machos, trop fauteurs de guerre, que sais-je encore ! C'est vous qui aviez de votre côté tous les journaux, toutes les télés, tous les artistes des beaux quartiers, tous les psys distingués, tous les sociologues sans couilles ! Alors vous, bande de traîtres à la cause des peuples, trois ans après votre défaite, vous osiez encore revenir à la charge pour en plus nous traiter de snobinards parce que nous avons eu le mauvais goût de remporter ce scrutin qui n'était à vos yeux qu'une formalité pour sceller votre idéal distingué d'europitude. Beurk ! "
Sur cette diatribe défoulante, je ne voudrais pas laisser croire que pour moi le temps s'est arrêté en 2005. Par exemple il ne m'a pas échappé que nous sommes à un tournant : soit l'Union européenne accomplit un grand forfait antidémocratique et "renforce sa gouvernance" (comprendre : les grecs au lit tous les soirs à 21h00, par ordre de Bruxelles, sous le contrôle de commissaires délégués à cet effet. Mais n'en doutons pas, si les grecs y passent, la France y passera aussi), soit l'euro explose.
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Ecrivant depuis longtemps que l'Union n'est bonne pour personne, je ne me sens pas un devoir de gloser sur ces défauts qui deviennent évidents. Je préfère lire des analystes initialement plus modérés qui finissent par devenir quasiment plus incisifs que moi pour décrire l'impasse européenne. Par exemple le bon papier d'Alexandre Delaigue, qui s'arme comme je l'ai fait il y a un moment, du triangle de Rodrik.
A un couillon d'européiste (ils ne le sont pas tous, mais celui-là était bien neuneu) avec qui j'échangeais quelques commentaires et qui se demandait si "Les efforts qu'on est en train de demander aux grecs maintenant sont-ils vraiment tellement plus terribles que ceux consentis par les français à cette époque ?", Delaigue répond : "La dernière fois qu'on a demandé des efforts équivalents à ceux que devrait faire la Grèce en théorie à un pays, il a fini par voter pour Hitler. désolé pour le Godwin."
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Parmi la pile d'articles intéressants lus récemment, un très bon article allemand sur la fin de l'Union Européenne : " Loin de déplorer les conquêtes civilisatrices de l’Union européenne, Enzensberger voit dans Bruxelles – son centre bureaucratique – un malfaiteur menaçant par sa folie centralisatrice et réglementatrice de transformer le continent en véritable "maison de correction [...] il existe un pays qui a déjà achevé sa phase nationale et s’en remet entièrement à l’Union européenne. Il s’agit, et ce n’est pas un hasard, du plus européen de tous les pays : la Belgique. La démocratie s’y est noyée dans un marchandage d’intérêts régionaux. On y tient des élections mais il n’y plus de gouvernement. Les fonctionnaires s’occupent des affaires courantes sous la bride de l’Europe, sans grand bouleversement. La souveraineté du peuple et la politique ne veulent à proprement parler plus rien dire. Si nous voulons éviter ce sort, l’Europe n’a pas d’autre choix que de retourner à la nation et à la démocratie."