Depuis plus d’un demi-siècle, la construction de l’urbain occidental est irrémédiablement liée à l’exercice de la confrontation publique et du débat. Des célèbres luttes new-yorkaises (parfois victorieuses) de Jane Jacobs contre les autoroutes urbaines de Robert Moses dans les années 60 à la multiplication des manifestations, en France, contre les plans d’urbanisme qui ne respecteraient pas les ambitions du législateur (qui, avec les lois LAURE – Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie – et SRU – Solidarité et Renouvellement Urbain – se montre très dur contre l’utilisation de la voiture individuelle en ville), les débats publics n’ont cessé de se montrer toujours plus constitutifs pour la production de l’urbain.
Dans le Grand Nouméa, les relents d’une planification militaires perdurent. Les citoyens sont hypocritement invités à se prononcer lors d’enquêtes publiques alors que les projets sont déjà ficelés depuis longtemps. Et les débats restent lettres mortes.
Quelques braves journalistes s’y essaient, en vain. Ainsi, l’émission Parler Vrai, consacrée aux squats, en dépit d’une préparation minutieuse par Alexandre Rosada n’a pu aboutir sur une véritable discussion. Pourquoi cela ? Car elle opposait un représentant politique à un fonctionnaire directement dépendant du pouvoir exercé par celui-ci. Dans ces conditions la confrontation est impossible. Je suis bien placé pour savoir que l’article 19 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948, qui garantit à chacun la liberté d’expression et d’opinion, ne s’applique pas aux fonctionnaires renvoyés au rang de sous-citoyens (quand bien même, de plus en plus, la cour européenne de justice se montre attentive aux abus de pouvoir exercés au nom du fameux, et bien flou, « devoir de réserve »).
Pire, le quatrième pouvoir, la Presse, en est parfois réduit à des publi-reportages avec des articles complaisants et manipulateurs, comme récemment sur l’échangeur de Ko We Kara qui ferait l’unanimité pour lui.
Que reste-t-il alors ? Quelques blogs exposés aux règlements de compte ? Quelques recours juridiques qui s’opposent à des projets trop grotesques ou peu discutés ? La ville se construirait-elle, finalement, dans les tribunaux ? Ne sommes-nous pas à des années lumières de la noblesse des mots Citoyens et Politiques, indissociables de la Cité et de la Polis (ville) ?
Les études sur la ville de Grenoble montrent que l’exemplarité (relative) de son développement urbain trouve sa source dans la densité d’un tissu associatif qui s’est constitué en réaction aux fortes pollutions atmosphériques d’une ville construite au creux des montagnes. Ce tissu s’est peu à peu emparé des questions urbaines pour faire aujourd’hui de Grenoble une ville qui tente de prendre en main sa croissance.
Voilà bien une lacune importante du Grand Nouméa : une faiblesse des associations qui portent un regard critique sur les grands projets de la ville. Il y a bien quelques associations de riverains, toutes entières dévouées au NIMBY, mais aucune qui ne porte véritable de contre-discours sur la production actuelle de la ville et qui ne s’invite dans les décisions des élus. Ainsi, se décide en ce moment les corridors du futur transport collectif en site propre : qui est au courant dans le Grand Nouméa ? Comment donner son avis ? De même, la commune de Païta multiplie les projets de lotissements : cela aura un impact énorme sur le flux automobile aux entrées de Nouméa ? Comment manifester son avis dans un tel projet ? Les exemples ne manquent pas, sur toutes les communes, qui nécessiteraient des débats, des critiques, des commentaires, des contre-expertises publiques et citoyennes qui permettraient d’améliorer les projets, de les interroger et de définir, in fine, un projet de ville souhaité et souhaitable plutôt que subi.
Alors, citoyens du Grand Nouméa, organisez-vous, unissez-vous et luttez, sinon, la ville continuera à se construire sans vous !
François SERVE