EJ - Mais je me fous de ça ! Enfin, je m'en fous un peu. Je réponds à ce genre de questionnaires uniquement parce que je ne supporte plus toutes les âneries qui ont encore cours, et qui nuisent à pratiquement la totalité des auteurs apparus ces dernières années, qui sont les héritiers de toute une tradition, perçue ou non, de recherches et de remises en question. J'en ai marre de l'étroitesse d'esprit de ces lecteurs de Limat et de Guieu, snobs au point de cracher sur ces auteurs qu'ils continuent cependant de considérer comme des archétypes, et au nom desquels ils condamnent, qu'ils le veuillent ou non. Le choix, je suis désolé, est toujours entre ces gens-là et nous. Et NON, il n'y a pas de juste milieu. L'écriture moderne est un cran au-dessus du récit classique. Il n'y a pas d'éc helon intermédiaire. Le récit est en train de fondre, et nous sommes l'eau.
RCW - Et les lecteurs préfèrent la glace ?
EJ - C'est ce que les éditeurs aiment faire croire.
RCW - Le problème serait donc non au niveau du lectorat mais à celui de l'édition ?
EJ - Non, ce n'est pas si simple. Le serpent se mord la queue. Les problèmes sont très nombreux, ils s'enchaînent. J'estime simplement qu'il est temps de ruer dans les brancards, et de frapper tout ce qui passe, histoire de voir rfemuer un peu tout ça. Peut-être y aura-t-il une chance de changement… Et en dernier ressort, ce sont bel et bien les éditeurs qui façonnent les goûts du public, même si la plupart des lecteurs ont l'orgueilleuse naïveté de refuser d'y croire.
RCW - J'ai l'impression que tu te contredis. Tout à l'heure tu as déclaré que les critiques ne comprenaient pas la nouveauté, et tu as souhaité que les lecteurs soient plus ouverts — et voilà que tu affirmes que les goûts de ceux-ci dépendent des éditeurs… Mais un critique est un lecteur, non ? Les critiqUes devraient donc « suivre » l'éditeur.
EJ - D'une part, la place est prise. Les critiques ont déchargé l'amour qu'ils n'avaient pas pu détruire sur le Brussolo de service. D'autre part, j'ai fait un livre. Et je ne doute pas que si je continue à travailler (et à ouvrir ma grande gueule pour des interviews), les éditeurs arrivent à persuader lecteurs et critiques qu'ils m'ont aimé dès le premier jour ! Sauf, naturellement, si je continue de dire qu'ils vont m'apprécier. Ces petits messieurs n'aiment pas qu'on les bouscule…
RCW - Et se refusent à admettre que l'édition, c'est avant tout du marketing ?
EJ - Et que nous sommes tous des putains. Eh, vous tous ! si vous vous disiez un peu qu'on pourrait être des putains heureuses de l'être ? Après tout, tout le monde affirme que les auteurs se vendent, négocient leur être même. Alors ? Pourquoi pas les autres ? Tous les autres ?
RCW - Ce n'est peut-être pas bon de le crier sur les toits…
EJ - J'allais justement te demander d'arrêter sur ce sujet. On va me regarder de travers, non ? Eh, Jouanne crache dans la soupe ! Et dire que tout le monde se jette de bon cœur dans la bagarre ! Il ne manque que quelqu'un d'un peu plus violent pour cristalliser sur lui, autour de lui, toutes les rancœurs, et faire ainsi l'unanimité. Je ne doute pas qu'un tel sacrifice servirait beaucoup la cause de l'unité sacro-sainte de la SF, où tout le monde aime tout le monde, comme chacun sait…
RCW - Peut-être es-tu bien parti pour devenir, non pas le chef de file d'une nouvelle école, mais celui qui, peu à peu, permettrait à des formes au niveau de la recherche d'être intégrées, perçues, assimilées ?
EJ - Mais les formes ne sont pas actuellement au niveau de la recherche ! La recherche, c'était il y a quinze ans ! Et le drame, c'est justement qu'elle n'eait servi à rien, pour tout un tas de raisons — dont le caractère réactionnaire de la plupart des aficionados de la SF n'est pas le moindre. Quant à être bien placé pour ceci ou cela… Ce n 'est pas mon problème, ça ne m'intéresse pas personnellement. Peut-être est-ce que ça intéresse la « signature » Jouanne. mais moi, bof…
(à suivre)