TOURISTES de l'UNIVERS - CHAPITRE IX

Publié le 16 juin 2011 par Abarguillet


Eh bien, vous vous souvenez que, la dernière fois, il a fallu nous rendre à l’évidence : la merveilleuse nuit étoilée que nous admirions du quai de Port-au-Persil, n’était en fait qu’une image faussée par le décalage spatial des étoiles qui ne sont pas du tout sur le même plan.

Après notre discussion, chacun de nous s’enferma dans son silence et dans ses rêves.

Après un long moment, c’est Simon qui, maintenant bien réveillé, lança :

"Il y a au moins une chose certaine, c’est que, ici sur ce quai, nous pouvons contempler l’immensité de l’univers et que les étoiles sont bien accrochées là-haut et ne bougent pas d’un poil.


- Non, mon cher Simon, tu te trompes, lui dis-je.
- On dirait même que tu prends plaisir à nous contredire, Minouchka et moi, et à dire que tout n’est qu’illusion.
- J’admets que mes propos peuvent vous secouer un peu mais tout ce que je tente c’est de vous décrire la réalité qui se cache sous l’apparence des choses. Cette réalité est encore plus merveilleuse que ses apparences.
- Alors vas-y de ta soi-disant réalité, me répliqua-t-il, l’air exaspéré.
- D’abord un mot sur l’immobilité des étoiles et des galaxies :

De fait, si on examine les étoiles, sans prendre la peine d’analyser la lumière qu’elles émettent, elles nous paraissent toujours au même endroit les unes par rapport aux autres, nuit après nuit, année après année, siècle après siècle, figées à jamais sur la voûte céleste. Ce n'est que depuis moins de cent ans, avec des scientifiques comme Georges Lemaître et Edwin Hubble, qu'on a finalement admis que les astres n'étaient pas immobiles et figés (comme on le croyait depuis Aristote) mais bien en mouvement et que les galaxies étaient même lancées dans une fuite éperdue (ce qu'Einstein lui-même eut bien de la difficulté à admettre). C’est particulièrement Hubble qui, en 1929, a proclamé que ces poches d’étoiles que sont les galaxies étaient lancées dans une course folle pour se fuir les unes les autres. Je vous ai d’ailleurs raconté cela lorsqu’on a parlé du Big Bang.
- Mais comment ton bonhomme Hubble a-t-il pu affirmer une telle chose ?


- Nous ne nous attarderons pas sur ce point mais, pour faire court, disons que c’est en utilisant ce qu’on appelle l’effet Doppler : on analyse le spectre des rayons lumineux émis par un astre et si le rayon tire sur le rouge c’est que l’astre s’éloigne et s’il tire sur le bleu c’est que l’astre se rapproche. Ainsi, notre ami Hubble a pu établir que les galaxies s’enfuyaient car leur spectre tirait sur le rouge Et, fait encore plus étonnant, ce ne sont pas les galaxies qui s’enfuient comme des voleuses avec les poches pleines d’étoiles, c’est l’espace lui-même qui se dilate, entraînant les galaxies avec lui !
- Mais tu charries pas un peu là ? Es-tu en train de nous faire avaler que l’espace est élastique comme une «gomme balloune» ? (1)
- C’est bien ça. Tiens, encore mieux que l’exemple de la «gomme balloune» : tu prépares une pâte à gâteau sur laquelle tu piques des raisins. Tu mets la pâte au four et tu la vois enfler graduellement sous l’effet de la chaleur. Là, ô miracle, les raisins se fuient les uns les autres. En fait, ce ne sont pas les raisins eux-mêmes qui entrent en mouvement, c’est la pâte qui les entraîne dans son mouvement d’expansion. (2)


L’espace donc n’est plus, comme dans l’univers de Newton, une scène de théâtre statique où se déroule le grand drame cosmique. Il n’existait pas avant le Big Bang et il se crée au fur et à mesure depuis la grande explosion. Et l’expansion de l’univers n’est pas un mouvement d’éloignement des galaxies dans un espace immobile mais un espace en dilatation qui entraîne avec lui des galaxies au repos.


- Eh bien là, je dois reconnaître que tu m’en bouches un coin.
- Il faut admettre que l’illusion d’immobilité des étoiles et des galaxies est bien compréhensible. Si un avion vole à 10 000 mètres à une vitesse de 800km/h, il te paraîtra, vu de la terre, avancer à une vitesse d’escargot. Alors imagine une étoile située à 10 000 années-lumière, elle te paraîtra parfaitement immobile même si elle se déplace à une vitesse folle. Tu vois ?
L’astucieuse Minouchka, qui avait écouté sans broncher, risqua alors cette question :


- Je me suis laissée dire que la galaxie Andromède, qui est la plus proche de notre Voie lactée, bien loin de s’éloigner de nous, s’en rapproche. Elle ne nous fuit donc pas, contrairement à ce que tu nous laisses entendre.
- Oui, c’est en effet assez paradoxal que deux galaxies qui s’enfuient se rapprochent en même temps. Depuis le Big Bang, l’espace n’a cessé de s’agrandir à une vitesse folle, entraînant dans sa fuite les galaxies (qui se sont graduellement formées par l’agglomération de la matière, comme on l’a déjà vu). Cette fuite n’empêche toutefois pas la loi de la gravitation de jouer son rôle et d’amener certaines galaxies rapprochées à se coller les unes sur les autres, tout en poursuivant leur course effrénée. Hubert Reeves exprime ainsi ce phénomène : «...des galaxies voisines, attirées par la gravité qui s’exerce entre elles, arrivent à remonter le mouvement d’expansion de l’univers et à fusionner ». C’est la géniale astronome américaine Vera Rubin qui nous illustre le mieux ce phénomène : si l’on place des fourmis sur un ballon et que l’on gonfle le ballon, les fourmis poursuivront leur course à mesure que le ballon se gonflera mais rien n’empêchera certaines d'entre elles de se rapprocher les unes des autres par leur propre mouvement, en même temps que le ballon les fera continuer leur course.


Ce rapprochement Voie lactée-Andromède n’a pas de quoi nous énerver pour le moment car, s’il y a un jour collision, ce ne sera que dans quelques milliards d’années. Et encore là, la collision est incertaine. Tu peux donc, ma chère Minouchka, écrire à ta grand-mère (a-t-elle Internet ? les grands-mères aujourd’hui, tu sais…) pour la rassurer sur le sort de ses arrières, arrières petits-enfants.

Je me suis alors tourné vers Simon :

- Tu as bien dit aussi que, d’ici sur ce quai, nous pouvions vraiment contempler l’immensité de l’univers, n’est-ce-pas ?
- Ne viens pas me dire que ce n’est pas le cas.
- J’ai bien peur de te décevoir là aussi. Mais je m’en voudrais de troubler ton sommeil. Alors, si tu veux bien, remettons à une prochaine fois la discussion qui nous amènera à tenter de comprendre l’immensité de l’univers. Ce sera là, je t’assure, un sujet absolument passionnant.
(1) Tous les enfants au Québec savent ce qu’est une «gomme balloune». Pour les non-instruits, laissez-moi expliquer la chose : tu te fourres dans la bouche une grosse gomme, tu la mâchouilles vigoureusement pour l’assouplir. Puis là, tu l’aplatis derrière tes dents de façon à l’amincir. C’est alors que tu pousses un peu avec la langue la mince pellicule de façon à la faire ressortir entre les lèvres. Puis, tu rentres la langue laissant une petite bulle à l’extérieur de la bouche, pas trop épaisse ni trop mince. Et c’est là que l’artiste démontre tout son savoir-faire : tu souffles dans la bulle pour la faire enfler. Le gagnant est celui qui fabrique la plus grosse bulle. Petite mise en garde : ne souffle pas trop fort car elle pourrait te péter dans la figure et tu en aurais partout, du menton jusqu’aux narines.

(2) Einstein nous a même révélé que l’espace n’était pas seulement en expansion mais qu’il était aussi élastique et se déformait en présence des étoiles, comme une trampoline sur laquelle on déposerait un poids. De cette façon, Einstein fournissait une explication à la loi de la gravitation énoncée par Newton : chaque étoile crée, dans la toile de l’espace, un creux qui attire ses voisines.

Jean MARCOUX

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