Bonjour aux zindigné(e)s
Bonjour aux résigné(e)s
Bonjour aux zotres
Quelques mètres cubes d'eau chlorée et quelques centimètres carrés de lycra moulant favorisent les rapprochements surtout entre personnes ayant chacune un livre bien en vue sur son transat. Etre deux brasses coulée, j'ai donc demandé "C'est bien ?" au propriétaire d'un exemplaire de Indignez-vous ! et il m'a assuré que c'était formidable, à méditer, à relire plusieurs fois et patati et patata.
Il a fini par me proposer de me le prêter et j'ai accepté sans me faire prier. Une petite demie-heure plus tard, une fois les 20 et quelques pages avalées (contrairement à l'eau que je recrache), je n'ai pu retenir un "c'est tout ?" qui dans mon esprit, sonnait nettement moins comme un regret devant la brièveté de l'ouvrage que comme un reproche envers l'indigence de son contenu.
Sans aller jusqu'à m'indigner, je m'étonne néanmoins du succès selon moi inexplicable du pamphlet de Stéphane Hessel. Indignez-vous ! est d'une superficialité navrante et d'une évidente platitude un brin neu-neu... L'indignation d'Hessel, c'est la prose de Monsieur Jourdain, l'humour de Molière en moins.
Ah ben oui, la guerre c'est très mal, quant au terrorisme n'en parlons pas et la maladie c'est bien triste et la famine aussi surtout quand on songe aux profits des vilains labo pharmaceutiques et consortiums agro-alimentaires ... Quant aux sans papiers, aux clandestins, évidemment, ça ne peut laisser indifférent, c'est même bouleversant quand on y songe plus de 9 secondes. Individuellement il s'agit de terribles drames humains mais collectivement, c'est un vrai problème renforcé par de multiples malentendus et non dits à traiter bien avant nos frontières (citons la corruption, l'économie parallèle, le grand écart entre ignorance, manque crucial de sens critique et de réflexe analytique, la pression familiale, les mensonges des migrants qui ne peuvent perdre la face et admettre qu'ils galèrent et accès à l'internet mais aussi... la religion) et avec un peu moins de légèreté qu'une indignation post-adolescente (je sais qu'Hessel a 93 ans mais on peut parfois en douter à le lire), viscérale (adressant donc uniquement à notre émotion et non à notre raison) et teintée d'angélisme.
Ce sentiment est renforcé depuis mes divers séjours professionnels à Casablanca, Conakry ou Dakar où j'ai eu l'occasion de cotoyer des gens très pauvres candidats à l'exil (ou pas du tout) et de discuter avec eux, de cerner leurs motivations, leurs illusions, leur responsabilité de devoir entretenir des familles exigeantes souvent inalphabètes. Je sais aussi, parfois, les mensonges ou les silences de ceux qui ont traversé la Méditerranée pour ne pas perdre la face, pour ne pas décevoir tous les espoirs placés en eux qui, par là-même, motivent d'autres candidats à l'exil au lieu de les dissuader comme des mères excisées sont les premières à exciser leurs filles au lieu de les protéger.
Alors oui, ce livre m'énerve parce qu'il égreine les "c'est pas bien" sans jamais donner de début de commencement de solutions, les "c'était mieux avant" (la sécu, les retraites, le CNR (sic !)) sans jamais avoir l'honnêteté d'admettre que les modèles portaient (et portent toujours) en eux leurs limites, parce qu'il est superficiel, décontextualisé (à l'origine du livre il y a un discours sur le plateau des Glières), absolument pas analytique, générateurs d'amalgames (la résistance contre le nazisme c'est tout de même autre chose que des préoccupations justifiées ou non sur le pouvoir d'achat, non ?) et que, de très loin, les pages les plus intéressantes sont les 4 dernières (sur 24 !) : celles des renvois et de la bio de l'auteur.
Celles et ceux qui me connaissent et me lisent régulièrement le savent : on ne peut vraiment pas m'accuser de désintérêt envers la seconde guerre mondiale. Cette période de notre histoire me fascine même et me bouleverse. Cela dit, je me garderais bien de considérer qu'elle constitue un modèle transposable à notre époque.
Selon moi les louanges tressées à ce livre sont inquiétantes et démontrent la vacuité conceptuelle et analytique de l'époque. Alors, si des ados font des sittings ici ou là en s'autoproclamant indigné(e)s, tant mieux, c'est de leur âge et si j'avais eu 20 ans aujourd'hui, j'aurais peut-être sali mon jean sur les trottoirs de Bastille mais après, concrètement, qui fait quoi ?
En fait, je trouve le bouquin limite dangereux de par ses amalgames et son absence de mode d'emploi (si ce n'est une vague mise en garde anti terroriste condamnée non pas tant moralement que pour son inefficacité !).
En outre, Stéphane Hessel semble insconscient d'un paradoxe de taille : lui qui appelle à l'indignation collective et pacifique ne cesse d'illustrer son propos par des références à la résistance et, sauf erreur ou ommission de ma part, la seconde guerre mondiale était tout de même vaguement belliqueuse ! J'aurais attendu plus de mémoire et de précaution de la part d'un homme qui a été torturé par les allemands, a passé environ un an dans plusieurs camps nazis où il a failli être pendu. Et vous, vous souvenez-vous comment les allemands appelaient les résistants ?
Deux liens plus intéressants que le livre lui-même
http://fr.wikipedia.org/wiki/Indignez-vous_!
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-5-preceptes-d-indignez-vous-de-stephane-hessel_948929.html
Conclusion
Plus j'avançais dans la rédaction sans filets de ce message plus je m'indignais... comme quoi, quelque part, ça marche...