Il ne faudrait peut-être pas rencontrer les gens de cinéma que l’on admire. Ceux qui nous émeuvent, nous transportent, nous font rêver et que l’on imagine aussi remarquables que ce qu’ils montrent sur grand écran. Il faudrait garder cette inconnue, cette interrogation. « Et il est comment untel, en vrai, tu crois ? ». Ne pas les rencontrer évite de belles déceptions, comme celle que j’ai connue le week-end dernier. Après le sympathique quoiqu’oubliable London Boulevard, j’enchaînais avec The Prodigies, le bide français du moment, aussi bien au box-office qu’artistiquement. Le mauvais marketing et notamment le changement du titre du roman « La Nuit des Enfants Rois » en The Prodigies, sans jamais mettre l’accent sur la filiation avec ce titre sous lequel le film avait pourtant été tourné, a certainement joué sur la déception des résultats au box-office. L’échec artistique n’aidera pas le film à remonter la pente.
Malgré le bide, le film était en première semaine programmée dans la salle 1 au Ciné Cité Les Halles. Le film était tout de même censé être évènementiel, après tout. Si j’avais su que le film allait être aussi passable et qu’en plus le voir allait écorner la belle image que j’avais d’un acteur, je m’en serais peut-être passé. Toujours est-il qu’en ce dimanche après-midi, j’étais bien dans le couloir menant à la salle 1 des Halles, attendant que la porte s’ouvre avec une petite centaine de spectateurs, même pas. Certains d’entre vous savent certainement à quoi ressemble le couloir où la queue se forme pour les spectateurs attendant l’entrée en salle 1 aux Halles. Le couloir est large, au fond, c’est l’entrée de la salle, à gauche, un mur contre lequel la file d’attente se dessine. Tout le long du couloir, sur la droite, un passage est laissé accessible car s’y trouvent des toilettes. Les toilettes pour hommes se situent à la moitié du couloir. Lorsque celui-ci est plein donc, une personne souhaitant aller aux toilettes longe la queue. Lorsqu’on en ressort, on longe de nouveau la queue dans l’autre sens pour respecter la file d’attente. Du moins c’est ainsi que la plupart des gens l’entendent, moi le premier.
Dimanche après-midi, j’attendais ainsi dans ce couloir, faisant la queue, lorsque je l’ai vu passer sous mes yeux accompagné d’un ami pour aller aux toilettes. Le fascinant Malik d’Un Prophète de Jacques Audiard. Le Prince Seal de L’aigle de la neuvième légion de Kevin McDonald. Tahar Rahim, le futur grand acteur du cinéma français qui en est en fait déjà un. Je le vois passer sous mes yeux, plus petit que moi, la tête vissée sous sa casquette, élégant et discret. Tahar Rahim, deux Césars en poche et le cinéma français lui tendant les bras, l’avenir d’un grand devant lui, qui ne trahit pas son intensité en spectateur lambda d’un dimanche au ciné. Je souffle à mon amie que Rahim sera avec nous dans la salle, je lui montre son dos, mais il est déjà entré aux toilettes. Je pense lui montrer lorsqu’il en sortira et qu’il passera à côté de nous en retournant dans la queue. Cela n’arrivera pas.
Eh non, Tahar Rahim a beau être déjà un grand acteur, il a révélé sous mes yeux la petitesse de l’homme qu’il est. En sortant des toilettes, lui et son ami n’on pas cru bon de respecter la file d’attente en retournant sur leurs pas. Après tout, aller aux toilettes leur a permis de bien se rapprocher de l’entrée en salle, alors pourquoi s’emmerder à retourner derrière 40 personnes alors qu’on peut entrer avant eux en restant plantés devant les toilettes en attendant que la porte s’ouvre ? Bien joué Tahar. Au royaume de la gruge, tu as montré que tu étais aussi doué que Malik derrière les barreaux. J’aurais bien applaudi, mais j’étais trop occupé à être énervé et déçu. Énervé par le comportement de connard, déçu par l’acteur. On en voit tous, régulièrement, des cons qui ne savent pas que le respect se distingue même dans la queue d’un cinéma. Ce jour-là le con s’appelait Tahar Rahim.
Je crois que si je l’avais trouvé à la place que je convoitais dans la salle, mon énervement aurait été décuplé, et ma perception de l’acteur en aurait pâti. Il s’est contenté d’une place plus au centre la salle, quelques rangs derrière moi. Tant mieux. Ca reste un comportement pathétique, mais bon… ce n’est pas non plus Maïwenn et son fils.