Le 18 juin prochain aura lieu à Nantes une manifestation réclamant la réunification de Nantes à la Bretagne. Délits d’Opinion a rencontré Pierre Toullec, qui a rédigé une analyse sur la question et qui est l’un des initiateurs de ce mouvement.
Délits d’Opinion : Pourquoi une manifestation pour la « réunification » de la Bretagne ?
Pierre Toullec : Vouloir « réunir » Nantes à la Bretagne semble souvent une idée saugrenue aux yeux des Français. Pourquoi vouloir faire une telle chose ? Si l’Education Nationale faisait correctement son travail et enseignait l’histoire des peuples de France plutôt que l’histoire « politiquement correcte », une majorité de nos concitoyens comprendraient le problème. Il date très exactement de juin 1941.
A cette époque, l’occupation est bien là, et la réorganisation de la France va bon train. Alors que le gouvernement de Vichy réfléchit à regrouper le territoire en grands ensembles, l’Allemagne Nationale-Socialiste fait une proposition : mettre Nantes et son département de la « Loire-Inférieure » (comme est appelée à l’époque la Loire-Atlantique) dans une région centrée autour de la ville d’Angers.
Le Maréchal Pétain décide alors le 30 juin 1941 de signer une validation « provisoire » de ces frontières régionales en France, avec et déclare Nantes en Anjou !
A la suite de la seconde Seconde guerre Guerre mondiale, cette décision aurait pu être supprimée. Et elle le fut, temporairement. Cependant, l’esprit Jacobin des « leaders de la France libre » l’emporta, et après des années de « débats », les régions sous la forme souhaitée par les Nationaux-Socialistes furent mises à nouveau en place. Depuis 1957, le découpage ordonné par le Maréchal Pétain est officiel et n’a dès lors plus évolué.
En réponse à cela et dès les années 1960, quelques Bretons commencèrent à exprimer leur désaccord dès les années 1960. Depuis les années 1970, ils manifestent ouvertement pour réclamer la réunification.
Ce mouvement a commencé à se structurer autour de l’association Bretagne Réunie (« Breizh Unvanet » en Breton) en 1980. Depuis, les manifestations ne cessent de gagner en importance, et il faut espérer que celle de cette année réunira encore une fois plusieurs milliers de Bretons et de Français attachés à la souveraineté des régions et des peuples.
Mais pourquoi s’attacher autant à cette question de la réunification ? En quoi est-ce important pour les Bretons ? Nantes est en réalité la capitale de la Bretagne depuis 877 de notre ère. Naoned (le nom Breton de Nantes) possède le château des Ducs de Bretagne et une grande partie des symboles de la Bretagne libre depuis près de 1200 ans. Donner Nantes à une autre région que la Bretagne est donc équivalent équivaut à donner Paris à la Belgique. N’est-ce pas des plus absurdes ?
Les Bretons souhaitent donc le retour de la Bretagne historique, dirigée par les Bretons eux-mêmes. Est-ce réellement scandaleux pour un peuple que de souhaiter voir son unité territoriale restaurée ?
Surtout, la raison principale qui encourage les gouvernements successifs à refuser la réunification est « l’équilibre » des pouvoirs en France. Si la région était unifiée, la Bretagne comporterait 4,3 millions d’habitants, en faisant ainsi l’une des plus puissantes de France. Paris n’a pas pour habitude d’accepter la puissance des régions, par crainte de perdre son pouvoir sur la province. Paris doit ainsi rester dominante en matière économique et de population. L’un des véritables freins à la réunification vient ainsi directement des gouvernements Parisiens qui ne souhaitent pas voir l’hégémonie de la capitale remise en cause.
Délits d’Opinion : Quelle est l’évolution de l’opinion publique sur cette question ?
Pierre Toullec : L’opinion publique sur ce sujet a beaucoup évolué au cours des trente dernières années. En effet, pendant deux siècles la France a pratiqué une politique hostile aux peuples locaux afin d’uniformiser le pays. L’héritage de ces politiques a longtemps créé un sentiment de « honte » chez nombre de Bretons, qu’il s’agisse du sujet de nos origines, de notre langue, de notre culture et bien sûr de l’intégrité territoriale de la Bretagne.
Cependant, depuis les années 1970 les choses changent. Les militants ne se cachent plus, et une majorité de Bretons est désormais fière de son pays et de sa culture.
Cette évolution est importante pour comprendre le changement de l’opinion sur le ce sujet de la réunification. Jusque dans les 1970/1980, être favorable à la Bretagne, notre sa culture et notre son héritage était parfois mal vu, ou et beaucoup n’osaient pas l’admettre. Aujourd’hui la situation a changé.
Ainsi, dans le plus ancien sondage réalisé sur ce sujet pour France 3, seuls 44% des habitants de la Loire-Atlantique interrogés étaient favorable à la réunification. Le suivant, réalisé en 1998, a prouvé l’inversion de l’opinion publique sur tout ce qui touche la Bretagne. A cette date, 66% des habitants du même département souhaitaient la réunification (sondage SOFRES).
Enfin dans les années 2000, de nombreux sondages sur ce sujet ont été réalisés en région Bretagne et dans le département de Loire-Atlantique. Si certains d’entre eux avaient l’objectif engagé affiché de montrer qu’il n’y avait pas de majorité soutenant la réunification (questions à choix multiples avec des choix réellement différents : TMO en 1999, TNS-Soffres en 2002 et TMO en 2003). Sur la question propre de la réunification toutes les études montrent la popularité du retour de Nantes en Bretagne.
Ainsi, en Loire-Atlantique les résultats des sondages depuis 1998 sont les suivants :
• 1999 : 68% des habitants de la Loire-Atlantique étaient favorables à la réunification
• 2000 : 71% favorables à la réunification
• 2001 : 75% favorables à la réunification
• 2002 : 56% favorables à la réunification
• 2006 : 67% favorables à la réunification
Il est à noter que les résultats sont légèrement différents en région Bretagne à 4 départements :
• 2000 : 63 % des habitants de la région Bretagne étaient favorables à la réunification
• 2001 : 63% favorables à la réunification
La très grande majorité des Bretons sont est donc réellement favorables à la réunification, bien que ce soit légèrement moins vrai en région Bretagne à 4 départements que dans la Loire-Atlantique. Il est donc important de noter que ce sont ceux qui seraient les premiers touchés par cette réunification qui souhaitent la voir se réaliser !
Délits d’Opinion : Quels sont les leviers d’action que vous souhaitez utiliser dans les semaines/ mois à venir ?
Pierre Toullec : Cette année, la manifestation se tient alors que le Parti Socialiste et Europe Ecologie les Verts débutent leurs primaires respectives. A droite, les modérés et l’UMP commencent à regarder sérieusement vers 2012, et les candidats potentiels réalisent qu’ils vont devoir prochainement annoncer faire part de leur volonté de s’engager leur décision. Il s’agit donc du parfait moment pour relancer ce débat par une manifestation massive des Bretons et obliger les différents candidats à la Présidentielle à se prononcer sur ce sujet.
Délits d’Opinion : Quelles sont les suites législatives ou initiatives éventuelles à ce mouvement ?
Pierre Toullec : L’action que les militants pour la réunification souhaitent voir arriver se mettre en place est la tenue d’un référendum dans les territoires concernés, à savoir dans les cinq départements Bretons (Loire-Atlantique, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes d’Armor, et Finistère).
Il ne doit cependant pas y avoir de référendum sur cette question dans la « région » des « Pays de la Loire ». En effet, il s’agit d’une question Bretonne, et non Angevine, Vendéenne ou autre.
Certes ces départements seront touchés en partie par le retour de Nantes en Bretagne. Cependant, la question n’est pas de savoir si oui ou non les Pays de la Loire doivent garder leur capitale. La fondation même de cette région de toutes pièces était absurde, sans aucune cohérence économique, culturelle ou historique. Il s’agit donc de savoir dans quelle région mettre ces départements. L’association Bretagne Réunie a là-dessus son idée propre.
En cas de victoire des partisans de la réunification, des actions gouvernementales et législatives seront nécessaires afin de redessiner les autres régions, et en profiter pour respecter les peuples et créer de véritables régions fortes, non dépendantes de Paris (avec une Normandie réunifiée par exemple).
En attendant, il est aussi nécessaire que les élus locaux continuent à créer des partenariats entre le département de Loire-Atlantique et la région Bretagne
L’intérêt de ceci est qu’avant même la réunification, l’unité fonctionnelle entre les cinq départements ferait que l’union pourrait être réalisée sans difficulté, et de manière transparente pour les Bretons de Loire-Atlantique. Ce genre de partenariats a déjà été mis en place par exemple avec « Ofis Ar Brezhoneg », l’Office de la langue Bretonne, chargé par la région Bretagne de promouvoir notre langue régionale et qui intervient aussi bien dans le pays de Nantes que dans le reste de la Bretagne.
Je ne peux donc qu’encourager les Bretons et les Français disponibles ce samedi 18 juin à se rendre à Nantes pour la manifestation organisée par les associations « 44 = Breizh » et « Bretagne Réunie ». Plus nous serons nombreux, plus il sera possible d’imposer la question de Nantes comme l’un des sujets de la Présidentielle à venir, afin de corriger cette erreur historique et redonner à la Bretagne la place de leader qu’elle devrait avoir.
Propos recueillis par Olivier.