Voilà. C’est fait. Déménagement épique achevé. Ranger, vider, nettoyer une maison de campagne, ça occupe son homme. Et toute la famille. Puis il y avait l’immense jardin potager et fruitier à passer au peigne fin. Les deux abris de jardin, motoculteur, tondeuse, poulailler en kit, chats, poules et plantes. De nombreuses visites à la déchetterie du village. Et dire au revoir aux voisins, à la vieille acariâtre d’à côté, à la Dordogne qui a vu naître mes parents.
Une fois les déménageurs partis avec les 60 m3 de cargaison, je passais un dernier tour de clés et prenais la route au volant d’une vieille 205 pleine à craquer de végétaux et d’animaux. De feuilles et de plumes claquant au vent passant par la fenêtre pour dissiper l’odeur de caca de poules. Sur le siège passager, une chatte au lieu des deux initialement prévues pour le voyage.
Car il y avait deux chattes. Celle de la maison et celle du jardin. Deux cages à chat attendaient de capturer chacune leur occupante. Il était prévu de les garder à distance pendant la nuit précédant le grand chambardement. Et de les véhiculer séparément. La chatte du jardin apprivoisée par mon père avait encore des restes de vie sauvage, mais on ne désespérait pas de lui présenter son nouveau territoire, en Charente. Elle daignait se frotter à nous mais l’attraper, c’était une autre affaire. Lorsque la veille du grand jour, elle s’est avancée pour percevoir ses croquettes, je l’ai saisi par les flans pour la poser fissa dans la cage. Métamorphosée en furie, elle a planté ses crocs dans ma main gauche. Me répétant intérieurement l’adage de mon amie Karelle « la douleur est une information », j’ai serré la mâchoire et maintenu mon emprise. Je n’aurais pas droit à d’autre essai. Nouvelle morsure féroce main droite puis dans le bras. Les conseils avisés de l’entourage ne tarderaient pas à fuser. Fallait faire ci, pas faire ça, la prendre comme ci, pas comme ça. Bref. Rien n’y ferait. je décidais donc de la relâcher, le bras en sang. Bras qui doublerait de volume dans la nuit.
- Ma mère : Tu ne veux pas qu’on aille aux urgences ?
- Moi : Maman ! On a un déménagement à continuer. Si demain matin, mon bras est tout dur, oui, on ira aux urgences. Mais là, je vais désinfecter, décéder de fatigue… ou dormir. Et la chatte trouvera d’autres humains à apprivoiser…
Le jour J. Après mille péripéties que je vous épargnerai (c’est forcément là que l’imprévu pointe le bout de son nez crochu et déclenche les ennuis), perclus de courbatures, de douleurs, je prends le volant de la vieille 205 rouge.
Parés pour le grand voyage, s’y partagent l’espace une foultitude de plantes, un grand carton pour les 5 poules et le coq, une valise, et la chatte de la maison dans sa cage. M’accompagnant deux heures et demi durant de ses miaulements plaintifs et apeurés. Mes mots doux, mes explications en langue chat, mes soupirs, rien n’y fait. Je prête une oreille sourde à ses miaous éplorés et me concentre sur la route. En guise de climatisation, les fenêtres ouvertes pour dissiper l’odeur de caca de poules. En guise de musique, "radio chat" avec son lamento pour déménageur épuisé. A la faveur d’un changement de vitesse, elle m’assène un coup de griffes bien senti par la grille de la cage, réveillant le bras en charpie. Soudain, à mi-chemin, une odeur agresse mes narines, ma féline passagère au bout du rouleau m’a fait un caca nerveux. Un vrai. Le caca de poules, ça va, je connais, je maîtrise. Mais le caca de chat pour 2 heures de route, non, ça non !
Imaginez l’automobile rouge arrêtée en plein village. Le conducteur éclopé se contorsionnant pour sortir du véhicule. Et pour parachever le tableau, le coq qui signale notre présence aux 4 villageois attablés à une terrasse de café. Le coq ne chante pas, il s’égosille. Le malheureux, enfermé avec ses poules, dans une cage de fortune, manifeste son atavique fierté parce qu’une de ses compagnes avait œuvré pour la perpétuation de l’espèce. Deux œufs encrottés se sont ainsi invités au déménagement. 60 m3 et 142g.