Derrière ce nom à égorger une sorcière se cache en réalité le duo Michael Berstein et Maya Miller qui, des cendres de leur précédent groupe post-indus, Double Leopards, élèvent des volutes de nappes brumeuses, étouffant le carillonnement d’un retour au psychédélisme mortuaire. Élevé au rang de quatuor, Religious Knives mène une carrière exemplaire depuis six ans, s’accordant même le privilège d’être signé et produit par Thurston Moore himself le temps d’un album aussi tribal que monolithique, sobrement intitulé The Door. C’est pourtant sur Sacred Bones que nous les retrouvons aujourd’hui, aux côtés de leurs compagnons de jeu, Föllakzoid ou encore The Holydrug Couple. Le label le plus en vue de la Côte Est permet aux énigmatiques Religious Knives de pousser un peu plus loin le degré d’expérimentation, libérant de fortes émanations spirituelles avec un arrière-goût de substances illicites.
A l’heure où toute la scène new-yorkaise capitalise sur le retour de sonorités synthétiques rétro, redécouvrant les vieux claviers analogiques de tonton ou les échardes shoegaze, renouant avec les complaintes larmoyantes et noisy comme chemin le plus direct pour accéder au dancefloor, Religious Knives prend le courant à contrepied, composant des mélodies lourdes, écrites à la lumière d’une bougie à l’encens. Non sans renier une certaine affiliation au post-punk, dont le très dub Garbage Can semble être un héritage naturel du P.I.L de la seconde période (on pense notamment à Flowers of rRmance), le groupe baigne dans une aura teinté de mysticisme et de tribalisme propre au rock psychédélique de la fin des années soixante. The Message ancre parfaitement ce décor entre noirceur et hypnotisme : claquement lourd de grosse caisse, cymbales, riff de guitare noyé dans la réverb’, mélodie d’orgue dodelinant dans l’espace, voix noyée dans l’écho… Un morceau d’intro qui s’inscrit d’ailleurs peut-être trop dans le revival post-psyché qui semble gagner du terrain – on pense beaucoup à The Black Angels notamment – avant de s’en éloigner sur le sublime Paper Thin, track rock hallucinogène aux accents rugueux, poli d’une main de velours. Cependant, plus nous nous enfonçons dans les tréfonds dans l’imaginaire méandreux de Michael Berstein et Maya Miller, plus nous nous éloignons des chemins balisés. Perdus dans une obscure forêt, baladés comme le Petit Poucet qui aurait oublié ses cailloux. You Walk résonne comme une complainte pop perverse, dépravée par une musique ciselante, angoissante, poussant l’auditeur au bord du gouffre. Une pétrifiante chrysalide qui nous transporte jusqu’au trouble Smokescreen, secouant et grinçant, comme un corps se balançant au bout d’une corde.
A n’en point douter, si Ian Curtis s’était plus épanché sur Black Sabbath et 13th Floors Elevator que sur Bowie et Iggy Pop, Joy Division n’aurait certainement pas été loin de sonner comme Religious Knives. Mais nous ne sommes pas là pour refaire l’histoire. Nous ne pourrons que constater que dans cette recrudescence cyclique de retour à des sources musicales plus poussées, le combo s’extirpe majestueusement du commun des mortels, composant un subtil joyau organique duquel s’échappe des mélodies intemporelles et totalement obsédantes. Même les ténèbres ont leur fragilité.
Audio
Tracklist
Religious Knives – Smokescreen (Sacred Bones, 2011)
01 – The Message
02 – Paper Thin
03 – Big Police
04 – Garbage Can
05 – Private Air
06 – You Walk
07 – Chill Haze
08 – Smokescreen