Journée Bernard Noël dans Poezibao aujourd’hui : deux poèmes dans « l’anthologie permanente » ci-dessous, mais également un texte dans la rubrique « notes sur la création » et enfin une note de lecture, par Jean-Pascal Dubost, de L'outrage aux mots, deuxième tome des œuvres complètes, publiées par les éditions P.O.L.
1
un mot cherche mon cœur moi autour de lui
je cherche comment s’accroche à son présent
un peu de cette chose qui flotte ici
partout dévastation ruines et cependant
que sa belle image est mordue par le temps
saint Jean trempe sa plume dans la lumière
d’un geste égal mais le jet lumineux vise
on ne sait quelle partie du corps voici
des mouches elles vont butiner sa poussière
puis s’envolent vers le cul-de-four où Dieu
a tellement noirci qu’il est négatif
l’aigle et Jean même auréole et plus qu’une aile
au lion de Marc l’œil un petit lac de larmes
Luc le visage mangé par le moisi
est devenu un nègre à la barbe blanche
plus de Mathieu juste un trou dans le mortier
et quelques os de brique rose un frelon
tire mon regard vers là-haut la coupole
au premier cercle les restes d’une épaule
dans le second huit anges chacun six ailes
deux vers le bas deux vers le haut deux ouvertes
le tout d’une sensualité extrême
chaque ange paraissant deux fois pourvu
de la zone bien fendue que les humaines
n’ont qu’une fois et l’amour serait à faire
dans un embrassement du haut et du bas
circulaire et sans fin une roue toujours
en mouvement le même frelon descend
vers la coulée de fiente fraîche mon œil
enflammé pourtant n’ose pas s’en servir
mais je confonds peut-être fiente et fiel
et me voilà au milieu d’aujourd’hui
le regard soudain cassé par le soleil
le vide et la peur de l’escalier pourri
les yeux tâtent l’air sur leur gauche et surgit
la brusque surprise
le Blanc le Blanc le Blanc
pousse au fond du ciel son érection de craie
et par-dessus vie mort et réalité
plante un formidable NON à leurs raisons
Bernard Noël, Le Reste du voyage et autres poèmes, préface de François Bon, collection Points/Poésie, 2006 (première édition P.O.L., 1997), p. 11 et 12.
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3.
et maintenant que faire avec le rien où respirent les mots
tandis que les choses multiplient leurs formes dans l’espace
et que la vie remue ses rides ou les replie au fond du cœur
une illusion plane partout que l’on voudrait changer en certitude
buée de buée nous a-t-on prévenus mais qui croire dans la fumée
on essaie tout à tour la langue le rêve la plume et le couteau
puis la tête s’en va plonger parmi les salaisons de la littérature
parfois quelques petites ombres donnent en passant un peu de goût à l’air
un péril mystérieux parfume leur trace une amertume un manque
puis la bouche blêmit pour avoir accueilli ces épaves de sensations
au lieu d’en faire des images ou bien ce frêle bruissement sur les lèvres
cependant un souffle sur la tempe suscite le désir de croire encore un peu
de croire que maintenant fera surgir de maintenant le Tu
et sa réserve de visages assez pour égarer le temps
mais à quoi bon l’interminable si la vie n’est pas rejouée
quand l’herbe aura poussé sur la langue on trouvera peut-être
l’articulation du mystère parmi les restes d’une phrase.
Bernard Noël, Le Jardin d’encre, L’oreille du Loup, 2008 (cette édition comprend une traduction du texte en espagnol, par Myriam Montoya), p. 31
Bernard Noël dans Poezibao :
bio-bibliographie, Lecture aux Parvis poétiques (nov. 05), extrait 1, extrait 2, extrait 3 , extrait 4, note de lecture de Sonnets de la mort, in notes sur la poésie, En présence (de et avec), questions de mots, entretiens Bernard Noël et Claude Margat (par A. Malaprade), ex. 5, Prix Ganzo, Les Plumes d’Eros (par M. Gosztola), ext. 6, dossiers Europe et CCP (C. Anton), notes sur la création,
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