Les visiteurs du salon du Bourget (20-26 juin) ne devront en aucun cas négliger deux grands points de repčre de cette immense manifestation: l’avion solaire Solar Impulse et un film d’anticipation projeté par Airbus dans la salle du planétarium du musée de l’Air. Le premier cité constitue un exploit technologique tout ŕ fait remarquable et sans qu’on sache pour autant oů il nous conduira, il mérite une standing ovation et le respect admiratif de chacun.
Côté Airbus, c’est tout autre chose. ŤThe Future by Airbusť, un titre qui sent la grande agence internationale de publicité, branchée, audacieuse, probablement apatride et trčs chčre, suscite une incommensurable perplexité. En évoquant le transport aérien de 2050, l’avionneur européen tente en effet de nous faire ręver alors que nous sommes trčs angoissés, au nom de nos petits enfants. En effet, nous ne serons plus lŕ pour constater que les penseurs toulousains et hambourgeois avaient finalement vu ŕ peu prčs juste ou, tout au contraire, qu’ils étaient tout ŕ fait ŕ côté de la question.
Voici, en effet, qu’il est question le plus sérieusement du monde de l’avion bionique, de cabines de ręve propices ŕ la détente, au bien-ętre, fortes d’un air enrichi (sic) porteur de vitamines et d’antioxydants. On ne connaissait pas Airbus sous cet angle, l’avionneur de science-fiction évoquant avec le plus grand sérieux aromathérapie et traitements ŕ base de shiatsu, des sičges s’adaptant ŕ la morphologie de chacun des passagers, en bref une cabine intelligente et transparente (oui, transparente) pour permettre une vue totale de l’espace aérien.
On a envie d’en rester lŕ, de passer ŕ autre chose. Mais c’est précisément ŕ ce moment que surgissent des images furtives d’avions ŕ décollage vertical et celles de supersoniques mettant les plus lointaines des destinations ŕ moins de 3 heures de vol. A partir de cet instant, l’inquiétude gagne du terrain et elle devient franchement envahissante, déstabilisante, quand apparaît la caution de Charles Champion, directeur général technique d’Airbus. Il parle de voyage enrichi, revitalisé, respectueux de l’environnement, de conditions de voyage sans heurts, harmonieuses, tout en douceur. En anglais, c’est le sacro-saint Ťseamless travelť, expression qui eut son heure de gloire mais que seuls les doux ręveurs osent encore utiliser.
Airbus a beau évoquer des parties de golf virtuelles, la possibilité de conduire des réunions interactives, d’endormir ŕ distance les enfants restés ŕ la maison en leur contant une belle histoire, ŕ vrai dire, au risque de se fâcher avec ces futurologues, on n’arrive pas ŕ y croire. Pire, on a envie de leur dire le plus simplement du monde : Ťarrętez !ť Restons-en lŕ ou, si ce jeu persiste, nous ressortirons le pire des discours de Giovanni Bisignani, directeur général de l’IATA qui quitte ses fonctions dans quelques jours aprčs avoir battu tous les records dans l’élaboration de scénarios ayant conduit nombre de ses auditeurs ŕ l’idée de rentrer dans les ordres.
Sans aller jusque lŕ, dans quatre décennies, sans que l’on sache si les membres de l’IATA et les compagnies low cost se seront réconciliés entre-temps, on suppose qu’ils transporteront ensemble environ 15 milliards de passagers par an. A ce moment-lŕ, la simple évocation de Ťseamless travelť provoquera des éclats de rire ou de sévčres crises de nerf. On peut d’autant mieux les imaginer qu’il y a un précédent, baptisé d’un mot de vrai franglais, Ťfacilitationť. C’était l’objectif prioritaire, la simplification du voyage aérien.
Bien entendu, personne n’avait prévu l’apparition du terrorisme et des infâmantes mesures de sűreté, chacun croyait encore que les aérogares seraient de mieux en mieux conçues et ne se transformeraient pas en gigantesques centres commerciaux haut de gamme et, avancées politiques et technologiques aidant, nous nous étions mis ŕ croire en un espace aérien unifié et bien géré et ŕ des avions partant et arrivant ŕ l’heure. Nos boules de cristal nous montraient des contrôleurs aériens souriant qui ignoraient les mouvements sociaux tandis que les météorologues du monde entier s’étaient mis d’accord pour qu’il ne neige plus jamais sur les aéroports. Qui plus est, les volcans seraient neutralisés, bouchés, éradiqués, ils ne cracheraient plus jamais de cendres et Pompéi, bien que dépourvu de piste d’envol, resterait unique au monde.
Pour le pas aggraver le cas de nos futurologues-aviateurs, on passera sous silence les concepts d’avions spatiaux ou encore les hôtels, Hilton ou Sofitel ŕ la Stanley Kubrick, venus tout droit de Ť2001, Odyssée de l’espaceť. D’ailleurs, l’année 2001 a laissé un souvenir beaucoup moins agréable et, pour le reste, les architectes d’un avenir Ťseamlessť ont prudemment choisi de se mettre aux abonnés absents.
Lorsqu’il était président d’Aerospatiale, Henri Martre justifiait la présentation de concepts futuristes (ŕ commencer par de trčs hypothétiques successeurs de Concorde) en évoquant l’importance de préserver une part de ręve. Au moins avait-il l’honnęteté d’annoncer la couleur, de dire les choses avec franchise. Le supersonique franco-anglais n’a évidemment pas eu de descendance, les avions sont encore et toujours trčs souvent en retard, les hublots sont toujours petits et les fuselages, en métal ou en matériaux composites, restent désespérément opaques.
Dans ces conditions, ŤThe Future by Airbusť apparaît comme un vrai coup de pub et une fausse bonne idée qui ne nous fait pas sourire, pas męme le temps d’un salon du Bourget. A choisir, dans ces conditions, étant déjŕ sur place, mieux vaut visiter le musée de l’Air. Il raconte, lui, des histoires vraies.
Pierre Sparaco - AeroMorning