On peut ne pas voir, mais s’arranger pour être vu et ressentir bien plus qu’un voyant ! L’UNADEV l’a prouvé salle Watremez mardi dernier à Roubaix le temps d’un défilé de mode hors-norme et engagé, d’une « aventure humaine et solidaire », suivie par 350 spectateurs. Un défilé intitulé « Parce Que Vous Nous Voyez Bien ». Wahiba Baha coordonnatrice UNADEV-Nord en est à l’initiative.
Dans notre société, paradoxalement, le voyant pense plus à être vu que voir. L’importance de ce regard interpelle. Notamment pour les déficients visuels qui vivent dans la nuit même le jour. « Éclairer le handicap visuel, le sortir de l’ombre et le mettre sous les feux des projecteurs,permettre à ses personnes d’être reconnues dans leur dignité, dans leur statut de femmes et d’hommes, attirer l’attention sur ce handicap » était donc mardi dernier le pari annoncé de l’UNADEV. Le défilé de mode, « Parce que vous nous voyez bien » a en effet bel et bien mis le handicap visuel en scène. « Pour s’interroger sur sa réalité au quotidien, son rapport au corps, sa codification vestimentaire, à la mode ? » Pour y répondre, Wahiba Baha, elle-même non-voyante a lancé le défi d’un défilé pour et avec des déficients visuels afin de valoriser les non-voyants et sensibiliser le grand public. Projet au coeur de la mission de sensibilisation de l’UNADEV Nord qu’elle dirige depuis 2008. Les déficients visuels sont-ils étrangers au monde du prêt-à-porter ? L’association de couleur est-elle impossible pour ceux ne voyant que du noir ? Le bon goût vestimentaire serait l’apanage des voyants ?
Ce défilé hors norme y a répondu et a permis « aux déficients visuels d’être, eux aussi, des acteurs de la mode et de vivre pleinement leur dignité ». Des jeunes stagiaires de l’E2C, (Ecole de la 2ème Chance) ont défilé avec eux en binôme et des partenaires engagés auprès de l’UNADEV ont participé dont les 3 Suisses qui a offert les vêtements du défilé aux mannequins et une graphiste, Louise-Anne Demory (agence C’EST LA) l’affiche du défilé.
Mardi soir, il y eut en salle et en coulisses « beaucoup de témoignages de grande émotion. » Certains déficients visuels avaient fait venir leurs parents qui, à la fin sont venus embrasser Wahiba Baha et Anne-Marie Sosnierz consultante (Entreprendre en Culture) qui a soutenu le projet en terme de mécénat, de communication : « J’ai été frappée en coulisses, explique cette dernière « par les longues étreintes entre toutes ces personnes qui pleuraient de leur performance mais de joie et qui ne parvenaient pas à se quitter. La chorégraphe, Marie Lettelier est en effet une personne remarquable qui a tissé des liens très forts avec les mannequins au fil des mois de répétition. » Ce défilé, a-t-elle exprimé salle Watremez, rappelle « la nécessité de développer une nouvelle donne pour inverser les dérives d’une société hyper-individualiste… » Il invite « à nous questionner, à nous indigner, à nous engager à l’heure où le bénévolat s’étiole, où les actions de solidarité mais aussi les projets culturels, fondement de notre démocratie, sont mis à mal par la baisse des financements publics. Il invite à une forme de résistance intérieure. » Ce projet associatif et solidaire, réalisé grâce à l’autofinancement, grâce au mécénat d’entreprises sans aucune subvention, « révèle l’importance de fédérer les efforts pour accompagner des projets, activer un retour aux valeurs de solidarité en voie de disparition, un retour à l’essentiel, à l’authenticité et au respect dans un monde de vitesse, de compétition. Les solutions locales doivent se substituer au désordre global. La relation à l’autre peut être au coeur d’un nouveau modèle de société et de développement, vecteur de BIB / Bonheur Intérieur Brut et non pas de PIB / Produit Intérieur Brut.
Nous sommes tous d’une certaine manière des handicapés, nous sommes tous des déficients visuels. Nous ne voyons plus ni les choses, ni les êtres. Puisse ce défilé et la performance de nos mannequins d’un soir nous aider à retrouver notre capacité à voir, à regarder, à nous émerveiller. »
• La société actuelle favorise-t-elle un juste regard sur les choses et les êtres ?
BRIGITTE LEMERY La Voix du Nord.net