Quand on tient un blog littéraire, on découvre des auteurs et l'on a parfois la chance de rencontrer les personnes qui se cachent derrière. Même si ces rencontres restent parfois virtuelles pour cause de distance et de réalisme, elles n'en sont pas moins réelles. Elles apportent une pierre l'édifice de chacun. Un enrichissement incontestable. Une reconnaissance sans doute. Un respect mutuel, une envie de fidélité, de partager un bout de route, de suivre l'autre dans l'épanouissement de son talent, de sa passion.
Il y a 3 ans, j'ai pris un livre un peu au hasard et en dernière minute, dans les rayons d'un Relais à Roissy, avant de m'envoler pour la Syrie/Jordanie. Le pitch me tentait. C'était "J'aurais préféré vivre" de Thierry Cohen....
3 ans plus tard, Thierry Cohen sort son 3ème roman "Longtemps j'ai rêvé d'elle"
Cette fois ci, j'ai donné la parole à chacun des personnages du roman pour questionner Thierry Cohen.
- Question de Claude '(le marjordome): Bonsoir Thierry, bienvenue, voulez vous vous assoir ? Thé, café ou lait grenadine ?
TC : Thé à la menthe. L’odeur et le goût du thé à la menthe me ramènent toujours à mon enfance. Je le buvais, chaque après-midi, dans la cuisine de ma grand-mère. Elle préparait un thé à la menthe exceptionnel.
- Question de Lior (l’héroïne) : Mon personnage vous a-t-il était inspiré par une femme en particulier ou par un référendum auprès de centaines de femmes ? Car c’est très curieux et magique à la fois. Vous faites de moi un être unique, très intime et pourtant, je suis persuadée que des milliers de femmes se retrouveront en moi ? Est-ce ça, le talent d’un écrivain... Que la multitude se retrouve dans l’unique tout en gardant cette sensation de rareté ?
TC : En me lançant dans l’écriture de ce roman j’avais conscience que la difficulté serait, en tant qu’homme, de créer un personnage de femme et d’explorer son monde intérieur. Les hommes ont tendance à toujours analyser les réactions des femmes à travers leur prisme de mâle. Mais j’ai toujours été entouré de femmes. J’étais, et suis encore, le confident de plusieurs amies. J’apprécie leur sensibilité, leur fragilité, leur maturité. Je voulais que Lior ressemble à ces femmes de 30 / 40 ans, qu’elle dise leurs doutes, leurs craintes, leur détermination, leur déception, souvent, face aux hommes Les femmes partagent un monde intérieur formidable. Mais, au-delà, elles savent se construire une personnalité unique. Les hommes, bien souvent, possèdent un monde intérieur moins intéressant, plus centré sur leur égo et des personnalités assez stéréotypées. C’est la différence de maturité qui existe entre les hommes et les femmes qui fait, je pense, la différence. Comme le dit M. Hillel, mon libraire, les hommes sont bien souvent des adolescents enfermés dans des corps d’adultes. Les femmes, elles, ont très tôt conscience de leur force, de leurs responsabilités.
De nombreuses lectrices se sont reconnues à travers Lior et j’en suis heureux.
- Question de Jonas : Qui a-t-il de Thierry l’auteur dans Jonas l’écrivain ?
TC : Il y a les doutes face à l’écriture et la responsabilité qu’elle implique. C’est pourquoi j’attache tant d’importance à l’’avis de mes lecteurs. La manière dont écrit Jonas est également la mienne : je fais connaissance avec mes personnages, m’intéresse à eux, pénètre leur esprit, puis, dès qu’ils deviennent mes amis, je les laisse m’entrainer, me raconteur leur histoire.
Je partage également avec Jonas cette conception de l’amour qui l’amène à penser qu’une seule femme l’attend quelque part et qu’il ne faut pas accepter les jeux de rôles, trahir ses valeurs et se perdre dans des histoires qui ne nous appartiennent pas. J’ai toujours refusé de mentir aux femmes que j’ai connues. Je refusais de leur dire que je les aimais juste pour leur faire plaisir. Et, comme Jonas, d’ailleurs, je me suis souvent fait larguer pour avoir refusé de sacrifier à la comédie de l’amour.
Comme lui, enfin, j’ai fini par trouver la femme de ma vie et l’ai reconnue au premier regard.
- Question de Chloé : Dites donc Thierry, vous faites faire à Jonas un sacré raccourci entre “groupie et superficialité”. Faut-il être superficiel pour être groupie ? Etre groupie rend il superficiel ?
TC : J’ai toujours été surpris par le phénomène des groupies. Consacrer sa vie à une vedette, lui vouer tout son temps, tout son amour, revient à sacrifier sa propre vie. Il y là, selon moi, une forme perverse de fuite. Je comprends que l’on apprécie un artiste. Mais cette relation doit être entretenue d’une réflexion : on l’aime pour son œuvre, ce qu’il nous apporte, sa capacité à exprimer une part de nous même et on a alors assez de distance pour être également critique quant à ses créations. Devenir groupie revient à ne plus voir l’œuvre, à ne plus avoir de sens critique, à tout aimer et tout accepter parce que c’est l’homme ou l’artiste qui compte avant tout. La raison doit toujours tempérer la passion.
- Question de Jonas : Vous dites “ Toutes les femmes sont victimes de leur idéalisme, de leur maturité”. Et moi, dans cette histoire, de quoi suis-je victime ?
Jonas a une part féminine importante. Il est sensible et idéalise l’amour. Mais il ne se perd jamais dans des histoires qui ne lui appartiennent pas. Jonas est fort parce que ses valeurs le sont. Et parce qu’il a reçu beaucoup d’amour de ses parents. Ils s’aimaient tant qu’ils lui ont légué un modèle amoureux qu’il cherche à répéter. Jonas n’est victime de rien, si ce n’est de la solitude et de sa trop grande lucidité.
Lior, elle, est tout d’abord victime d’un romantisme trop naïf. Elle se rêve princesse, amoureuse. A cause de ces comédies romantiques qui nous vendent d’improbables histoires et des médias qui nous présentent le mariage du prince Harry et de Kate Middleton comme étant l’événement le plus beau et le plus romantique de l’année (je suis complètement passé à côté de cette farce) (et je me souviens que l’on nous avait vendu le mariage du prince Carles et de Diana de la même façon et cette « formidable romance » c’est terminée en vaudeville avant de devenir un drame) (bref… je m’emporte inutilement). Ensuite, elle est victime de sa maturité car elle porte un regard intransigeant sur les hommes et, du coup, s’enferme dans une logique de renoncement.
- Question de Hillel, le vieux libraire : Ah Thierry, je ne comprends plus le monde dans lequel je vis. Comme tu le dis, on a l’impression que l’amour et l’expression des sentiments deviennent un aveu de faiblesse. Est-ce un ressenti intime ou une réalité extérieure ?
TC : L’amour n’est plus « tendance ». C’est un sentiment ringard. Il n’y a plus de vrais romans d’amour aujourd’hui. Quand on parle d’amour c’est au passé, pour raconter un divorce, ou au présent pour dire une trahison, une déchirure. Quand je dis que je suis amoureux de la même femme depuis 20 ans, je passe presque pour un illuminé. Quand certains disent que l’amour dure trois ans, je pense qu’ils confondent la passion des premier temps avec le vrai sentiment amoureux, c'est-à-dire cette intime conviction d’avoir rencontré la personne avec laquelle on sen sent capable de construire sa vie, d’écrire une histoire.
- Question Lior : Ah Thierry, pourquoi n’ y-a-t-il que les auteurs qui semblent comprendre les femmes ?
TC : En fait, nombreux sont les hommes qui comprennent les femmes mais peu sont prêts à l’avouer car ils auraient alors l’impression de perdre une part d’eux-mêmes, de leur fierté, de leur virilité. Les auteurs y parviennent peut-être car ils se cachent derrière leurs personnages.
- Question de Lior et d’Elsa : Thierry, on est d’accord que Jonas n’est qu’un personnage de roman ? Un garçon comme cela n’existe pas dans la vraie vie ??!!
TC : Jonas existe. Il faut juste cesser d’imaginer qu’il se cache derrière les traits de Bard Pitt ou de Georges Clooney. Il est derrière ce regard hésitant, cette expression de timidité, cette part de féminité qui parfois affleure sur le visage de certains hommes, mais qu’ils masquent aussitôt de peur d’être pris pour des faibles.
- Question de Josh : “L’imagination est l’ultime recours de ceux qui se cherchent”. Moi, je trouve que l’imagination est plutôt un point de départ, le début d’une quête, d’une envie non ? Est-elle nécessairement l’expression d’un manque ?
TC : Elle peut être l’expression d’une quête, en effet, d’un désir de création. Mais, quand elle pallie aux défauts de la réalité, elle devient un refuge.
- Question de Sérena (la patiente puis amie de Lior) : Thierry, finalement, il aura fallu pas mal d’intermédiaires et d’intervenant à nos tourtereaux pour se reconnaitre. N’y seraient il pas arrivés sans nous tous ? On dirait qu’en amour, les gens ne parlent pas la même langue et qu’il faut des traducteurs pour faire le lien ?
TC : Bien souvent, les hommes et les femmes ne parlent pas la même langue, ne voient pas les choses de la même manière et il faut des « traducteurs » pour les amener à se comprendre. Dans le cas de Lior et Jonas, au-delà de leurs prismes d’homme et de femme, ils possèdent une conception de l’amour assez différente au début de l’histoire. Jonas est raisonnable et intègre. Il refuse de se compromettre dans des histoires foireuses. Du coup, il conserve sa lucidité, sa capacité à reconnaître la femme de sa vie. Lior, elle, du fait de sa naïveté et de son romantisme, croit, à chaque rencontre, pouvoir vivre le grand amour : elle perd donc sa capacité à l’envisager le jour où il se présente vraiment. Il faut toute la clairvoyance d’un vieux libraire et d’une fille malade pour les amener à se comprendre.
- Elsa : Euh, Thierry, petite question perso au passage... Vous dites que l’inspiration vient du désir d’écrire et non l’inverse. J’ai de l’inspiration mais je n’écris pas. Est-ce qu’en fait je n’aurais pas le désir profond d’écrire ?
TC : Il y a une vision romantique de l’écriture. On s’imagine écrivain comme d’autres s’imaginent footballeur professionnel ou comédien. Parfois le rêve suffit à certains. Mais ceux qui possèdent une vraie passion s’y consacrent corps et âme. Au-delà du désir d’écrire, il y a le besoin, l’extrême nécessité. On n’écrit pas pour devenir auteur mais parce qu’on n’a pas vraiment le choix, parce que ne pas écrire reviendrait à renoncer à une part essentielle de soi-même. Alors, l’inspiration vient d’elle-même, parce que l’esprit ne peut refuser de répondre à cet impérieux besoin.
- Question de Mr Hillel : Pourquoi y-a-t-il tant de romans faits pour douter de l’amour et pourquoi les romans fait pour aimer l’amour sont ils souvent décriés par une certaine presse et par une catégorie de lecteurs disons “élitistes” ?
TC : Pour les mêmes raisons que celles citées précédemment. Parce que se dire amoureux c’est se révéler faible. Parce que la plupart des gens ont perdu leurs illusions, ont connu l’échec amoureux et que, dès lors, ils ne supportent plus qu’on leur parle d’amour. Comme chaque individu a tendance à croire son expérience comme porteuse d’un message universel, les déçus s’évertuent à penser que l’amour n’existe pas, qu’il n’est qu’un leurre. C’est plus facile, plus confortable. Dans le cas contraire, ils devraient faire face à leur échec et chercher les responsabilités. Il est plus facile de dire que l’amour n’existe pas, qu’il ne dure que trois ans que de dire que l’on ne sait pas le trouver, le comprendre, le construire. Les journalistes étant des hommes ou femmes comme les autres, ils considèrent l’amour comme un sentiment dépassé et les romans d’amour comme des sous-œuvres. Il y a une attitude très tendance à regarder l’amour et les amoureux avec le regard condescendant de celui qui sait, de celui qui a vécu, a cru lui aussi, puis a compris.
- Question de Mr Hillel : Dites moi Thierry, quel livre pourrait être votre roman lumière de cet été ?
TC : De cet été. Je ne sais pas. Un roman lumière c’est plus que le roman d’un été. Il est le roman qui marque une vie, ou, tout au moins, une partie de notre vie. Belle du Seigneur a été le roman lumière de ma jeunesse. Puis il y a eu La promesse de l’aube, de Romain Gary, Sur la route, de Kerouac, La maison du bout du monde, de Michael Cunningham et plus récemment, Elle s’appelait Sarah, de Tatiana de Rosnay et… quelques autres encore.
- Question de Claude : Merci beaucoup d’être venu Mr Cohen. Je vous raccompagne ?
TC : Pas encore. J’aimerai passer voir Serena, l’embrasser, la serrer dans mes bras, tant que je le peux encore.
- Géraldine (la cuisinière) : Attendez Thierry, emportez donc une part de ma tarte tatin pour votre voyage !
TC : Oh, merci, répondit-il, sachant qu’il lui était impossible d’expliquer à Géraldine qu’il suivait un régime.