Cette interrogation sur temps, mort et mémoire est très présente dans le livre (pp. 38-60 – 65 – 68 – 111 - 113…) mais elle ne pèse pas, ne prend jamais un tour dramatique ou pathétique, alors même que les éléments sont là pour ; ainsi pour ces vétérans de la guerre (p. 112) qui n’en tirent « nulle leçon ».
L’émotion n’est jamais présentée dans sa violence ; elle est lissée par la langue, amortie. Ecriture du flux et non du choc, cette poésie est tout autant capable de saisir le tragique d’une vie que l’insignifiant petit détail quotidien d’un pantalon mis à sécher : « en l’air accroché au septième / le mouvement des jambes d’un pantalon / que le vent enfile, accélère, / rappelle un peu la marche qui l’anima / quand les membres s’y agitaient, en fuite à présent, / absents du linge empli d’air ou de vide / - aucun corps. » (p. 23)
Poésie savante aussi, qu’on ne s’y trompe pas ; elle se place dans une lignée qui va de Mallarmé à Ponge. Lorsqu’on lit le premier vers du livre, « Bas et haut abolis, dos au sol… », difficile de ne pas entendre en écho l’ « aboli bibelot »… De même pour la syntaxe et le vocabulaire, parfois : « Et la mémoire lui revenait, en effet, / par lente inhalation des souvenirs, / d’olfactives douleurs insinuées, / cet artifice, la vraisemblance, ayant surpassé / la spécieuse amnésie des fleurs en soie. »(p. 92)Ponge, on y pense surtout parfois à partir du raffinement et de la ciselure de langue pour un rien. Logique du « parti pris » : si je parle d’un objet nul, l’important, le poème, n’est pas dans la chose mais bien dans la parole, le texte. Ainsi pour prédation à la chaîne : « Au vu des œufs mirés chaque jour à la chaîne / il ressort que la poule assez clairement ne pond / qu’en vertu d’obligations très anciennes, / humaines, principalement, / où le malheur des uns, en effet, / par une étrange conception / fait le bonheur des autres, / la mort dans l’œuf, drame étouffé, / depuis des lustres demeurant / sous la cloison calcaire, quoique poreuse, / une affaire accessoire au regard du monde / et de l’intérêt supérieur dont le gallinacé / contractuellement, depuis des siècles, / à pondre ainsi sans arrêt doit répondre. »(p. 96)
On aura compris que ce recueil ne manque pas d’une sorte d’humour froid. La tonalité dominante reste la mélancolie, mais le sourire est presque toujours comme en contrepoint, participant à ce global refus du pathos qui marque cette poésie, par ailleurs porteuse de questions vraies : le titre Horizon du sol peut être compris comme : seule la terre nous attend… D’ici là, sourions : les titres des poèmes de Faure, placés en italiques après le texte, semblent souvent lancés à la légère, comme un clin d’œil au lecteur. Ainsi l’épluchage des patates devient « préparation des agapes d’omnivores » ; ou bien le titre pompeux de la section Mœurs et lois n’annonce que de manière très tangentielle les poèmes qui suivent ; ils ne doivent rien à l’esprit des lumières, à première vue. Ainsi pour le dernier, des fleurs en gare : « Les belles années s’enfuient par le train, c’est fréquent. / A la Saint-Valentin, gare du Nord, / en bout de quai où les fleurs sont à vendre / on voit les amoureux qui courent / attraper leurs bouquets, empressés, puis le train, / car l’amour en principe est ce jour-là fleuri / comme de mémoire, comme si / les beaux jours allaient revenir, / chacun gardant, public, à la main le vestige / d’un serment sous plastique emballé et fleuri / du bout des tiges, en cette serre humaine envahie / du sentiment croissant que soulève / comme ça, / dans un élan quasiment national, / intimé, unanime, / l’effloraison des gares à fréquence régulière. » (p. 104)
La poésie de Faure, comme celle de Follain, est une poésie de l’instant, sans hiérarchie dans vivre, mais toujours avec le souci de poser exactement la voix pour qu’elle retienne un peu durablement ce qui est, à chaque fois, une forme de rencontre.
[Antoine Emaz]
Etienne Faure – Horizon du sol - Ed. Champ Vallon – Col. Recueil – 130 pages – 12 € - on peut lire ici un entretien de Tristan Hordé avec Etienne Faure