Y'a les blues du dimanche soir. Sur l'autoroute, quand le taxi est secoué par la vitesse, faut que ça rock! Pour le reste, mes allées et avenues ne seraient pas pareilles sans le son du jazz dans mes oreilles. C'est le phrasé de la ville, la pulsation de la rue, c'est l'huile dans mon moteur, l'essence de mes nuits.
En début de soirée André Vigeant me jazze tout bas dans mes haut-parleurs. Ça installe la cadence, réchauffe le taxi. Ensuite j'improvise. Entre CIBL, CISM, CKUT, Espace Musique et Radio One, Two, Three, j'trouve toujours un beat qui rythme mes urbaines flâneries. Ça courbe le temps, ça me fait voyager.
Un soir, il y a déjà pas mal d'années, un chauffeur de taxi transportait un passager vers l'aéroport de Dorval. Sur les ondes de sa radio joue un jeune pianiste avec pas mal de doigté. Le client, un dénommé Norman Granz demande au chauffeur quelle station il écoute. Émerveillé par ce qu'il entend, il lui explique qu'il téléphonera pour savoir quel est ce disque, quel est le nom de ce prodige.
— Ce n'est pas un disque, lui répond le chauffeur, c'est une émission diffusée en direct du cabaret Alberta Lounge. C'est Oscar Peterson.
— Eh bien! On oublie l'aéroport! Faites demi-tour et conduisez-moi au cabaret!
Cette nuit-là, ce grand producteur, ce grand passionné de jazz persuada le virtuose de le suivre aux États-Unis. Le reste appartient à l'histoire.
Ce que l'histoire ne raconte pas toutefois, c'est la grosseur du pourboire laissé au chauffeur...